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    Prologue

                                     PARTIE I           Chapitre 1  -  Chapitre 2  -  Chapitre 3  -  Chapitre 4
                                     PARTIE II          Chapitre 5  -  Chapitre 6  -  Chapitre 7  -  Chapitre 8
                                     PARTIE III         Chapitre 9  -  Chapitre 10  -  Chapitre 11  -  Chapitre 12

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    RUBRIQUE EN CONSTRUCTION - CHAPITRES 7 et 8 DISPOS SUR WATTPAD, ARCHIVE OF OUR OWN ET FANFICTION.NET EN ATTENDANT


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    Prologue

    Publié le 25/12/2019
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    Prologue

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           Le jour de sa naissance, racontait sa mère, un oiseau chantait à la fenêtre. Ni l'agitation du médecin, ni les cris des femmes du village en découvrant le nourrisson étrangement poilu n'avaient pu le déloger. L'oiseau avait chanté toute la journée.

           L'enfant, subjugué, l'avait écouté, sage et chaud contre le sein de sa mère. Les dieux, disait-elle, l'avaient accueilli en musique, avaient envoyé comme dans l'Ancien Temps un aède pour célébrer sa venue. Hunith avait à son tour écouté l'oiseau, admiré le reflet du soleil sur ses plumes de jais et souri lorsque son regard s'était posé sur le petit garçon aux cheveux sombres serré contre sa poitrine.

           Au creux de ses bras, le bébé avait gazouillé à son tour.

           Le merle noir s'était envolé à la tombée de la nuit. Mais son empreinte mélodique n'avait jamais quitté Merlin. À six mois, il babillait par-dessus les comptines de sa mère. À huit, il les fredonnait. À un an, il les chantonnait. Hunith, attendrie, s'était résolue à lui transmettre toutes les chansons qu'elle connaissait, puis à en inventer de nouvelles. Elle lui avait appris à lire en recopiant avec lui les paroles de ses ballades préférées. Il avait appris à jouer seul, à la seule force de l'écoute et de l'imitation, créait ses instruments à partir de bouts de bois évidés avec minutie. À dix ans, il avait fabriqué sa première lyre. Les villageois, charmés à leur tour par le garçon aux grands yeux bleus et au sourire contagieux qui chantonnait en travaillant la terre, avaient oublié les circonstances inquiétantes de sa naissance. Bientôt, il ne fut plus l'étrange enfant d'Hunith, né avec une fourrure noire qui avait disparu d'elle-même après quelques jours, mais le jeune garçon maladroit aux oreilles décollées qui taillait des instruments dans les roseaux et ne manquait jamais une occasion de s'intégrer aux dernières bêtises en date des jeunes du village.

           Merlin ne se souvenait pas de l'oiseau. Il ne se souvenait pas de son chant. Comment aurait-il pu, jeté depuis quelques heures seulement dans le monde ? Il se souvenait de sa première lyre, de ses premiers accords dissonants, de la grimace involontaire de sa mère et de ses encouragements. Mais il écoutait les merles avec une attention toute particulière, autrement que les moineaux, les pigeons, les mésanges, les corbeaux ou les rossignols qui se pavanaient sur les chaumières et l'accompagnaient dans les bois. Il y avait quelque chose dans le chant d'un merle, même après des années passées loin de son village natal, quelque chose qui lui rappelait l’étreinte de sa mère, l'odeur d'Ealdor, quelque chose qui lui donnait envie de fermer les yeux, plonger ses mains dans la terre et laisser sa magie irriguer le sol, parcourir le monde et caresser cette minuscule empreinte de vie qui chantait pourtant si fort.

    Prologue

    Prologue

     

           À Camelot, Merlin n'avait jamais vraiment abandonné la musique. Tout comme il ne pouvait renoncer entièrement à sa magie, la musique vivait en lui, à la distinction-près que personne ne se serait mis à lui courir après en réclamant sa tête s'il avait été surpris à chantonner dans les couloirs. Pourtant, il n'avait que rarement avoué être musicien. Gaius savait, même s'il le châtiait souvent lorsqu'il se mettait à fredonner en l'aidant à préparer des remèdes ou faire sécher des herbes. Guenièvre aussi avait su, à l'époque où ils travaillaient encore tous deux au service de la famille royale, elle au service de Morgane et lui au service d'Arthur, et passaient le plus clair de leurs journées ensemble. Elle avait été la première à accepter entièrement sa voix, à chantonner avec lui parfois, et à l'encourager en sifflotant.

           Arthur avait su, aussi, évidemment. Il avait ricané lorsqu'il l'avait surpris à fredonner la première fois, à quatre pattes par terre et occupé à frotter énergiquement les dalles de ses appartements.

    « Si j'avais su que t'ordonner de récurer le sol te rendrait si heureux, Merlin, je l'aurais fait bien avant ! »

           Merlin avait répliqué, cinglant, qu'il chantait pour tenter d'oublier qu'il était au service d'un crétin pompeux et arrogant qui n'était même pas capable d'enfiler ses propres chemises. Arthur avait ri, saisi l'opportunité de prouver à son valet à quel point il était un seigneur bon et magnanime en lui lançant sa veste sur la tête et Merlin l'avait suivi dans le jeu. L'altercation, toutefois, lui avait servi de leçon. Il lui avait fallu deux ans avant d'oser à nouveau siffloter puis chantonner devant Arthur et trois autres années avant de dévoiler son instrument au prince.

           Le luth avait appartenu à Gaius. Ou peut-être à l'un de ses patients. Peut-être à l'un de ceux qui étaient morts dans ses draps et avaient abandonné derrière-eux biens et richesses, peut-être à un simple passant distrait qui l'avait oublié et n'était jamais venu le réclamer. Il faisait partie de ces nombreux objets qui traînaient dans les appartements du médecin, oubliés à la vue de tous, noyés dans la masse de matériel médical, d'herbes et de bibelots, probablement relique d'une histoire déchirante ou souvenir d'une époque meilleure. Merlin aimait penser qu'il avait appartenu à un barde itinérant, soigné par les mains habiles du vieil homme, qui avait alors choisi de lui offrir l'instrument en remerciement. Gaius ne savait plus. Pour lui, le luth avait toujours plus ou moins été là. Merlin n'avait pas insisté. Ne pas connaître sa véritable histoire lui laissait après tout le loisir de l'inventer.

           Il avait sauvé le luth de la poussière quelques semaines à peine après son arrivée à Camelot. Lui non plus ne se souvenait plus exactement de ce qu'il cherchait. Il se revoyait simplement crapahuter sur la mezzanine, des livres dans les bras, en équilibre précaire sur un tabouret, à la recherche d’un énième parchemin avec pour seul indice un geste vague du médecin en direction de l’angle de la pièce. Bien évidemment, quelques minutes plus tard, il avait basculé en arrière, emportant avec lui toute la rangée de manuscrits triés et classés sur l'étagère. Le tabouret, enhardi par le brusque retournement de situation et se découvrant soudain projeté par les talons de Merlin, était allé se fracasser joyeusement contre le plafond. Les étagères restantes avaient décidé de se joindre à la fête et s'étaient vidées à leur tour de leur contenu.

           Lorsqu'il avait relevé les yeux, penaud au milieu d’une mer de livres ouverts et de bibelots divers, l'instrument lui était tombé sur la tête.

           Ainsi avait débuté la grande histoire de Merlin et du luth.

     

    Prologue

           Les premiers mois, Gaius avait pesté, dérangé dans son étude, sa lecture, ses recherches. Alors Merlin s'était isolé dans sa chambre, en haut du petit escalier, trop heureux d'avoir trouvé un instrument pour s'offusquer. À Ealdor, jamais il n'aurait eu accès à un objet aussi finement réalisé. Le luth, quelle que fût réellement son histoire, était un objet de luxe et cela se sentait. Les cordes, une fois changées et réaccordées, étaient devenues solides et souples, le bois de la table brillait comme s'il sortait des mains de l'artisan et les fines gravures de la rosace étaient impeccables. Jamais Merlin n'avait eu entre les mains un objet au son si pur, si propre, si cristallin.

           Tous les soirs, une petite heure avant de s'endormir, il jouait des mélodies lentes et apaisantes qui parvenaient à tirer hors de sa peau toute la tension qu'une journée de travail au service d'Arthur avait pu y glisser. Là où il retenait sa magie, apprenait à la contrôler, à l'empêcher d'agir instinctivement, il laissait son cœur s'épancher dans la musique. Il chantait à voix basse les aventures de sa journée, fermait les yeux et se laissait porter par la danse des mots et des notes.

           Le luth était devenu un compagnon. L'ami auquel il pouvait enfin tout dire sans craindre le pilori ou le bûcher. Il lui avait chanté toutes ses joies, toutes ses frustrations, tous ses exploits secrets, tous ses espoirs de voir un jour venir un temps où la magie serait acceptée et où il pourrait vivre, dévoilé, libre. Il lui avait chanté ses faiblesses, ses peurs, ses doutes et ses prouesses. Il avait chanté pour ceux qu'il aimait comme pour ceux qu'il avait perdus.

           À la mort de Will, Merlin n'avait pas pu chanter. Il s'était contenté, une fois rentré à Camelot, de jouer la même mélodie encore et encore, une de celles qui avaient bercé leur enfance, celle que Will sifflotait avec lui en battant la terre, celle qu'ils hurlaient à plein poumons dans les champs. Il avait fallu à Gaius plusieurs heures avant d'oser toquer doucement à la porte de sa chambre. Merlin l'avait laissé retirer gentiment le luth de ses mains. Gaius n'avait rien dit. Il s'était contenté de le laisser étouffer les larmes qui mordaient sa voix contre son épaule, le luth abandonné sur le lit.

           Merlin avait appris ce jour-là qu'il y avait des douleurs que la musique ne soignerait pas. Des chagrins qu'il ne pourrait jamais apaiser et qui demeureraient hors de sa portée, condamnés à hanter son cœur sans pouvoir calmer sa voix.

           Le visage enfoui dans les robes de Gaius, du sel jusque sur les doigts, Merlin s’était résigné. Will n’était plus, et magie comme musique ne triompheraient pas.

           Pas contre le roi.  

    Prologue

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           Il avait écrit sa première élégie pour Freya. Cette fois-là, il avait refusé de laisser les larmes faire taire sa voix. Il voulait que Freya vive. Il voulait que Freya vive, même seulement sous ses doigts. Il avait chanté toute la nuit, chanté pour cette femme au destin injuste pour qui il aurait tout abandonné. Il avait chanté parce qu'il l'avait aimée, comme on aime les premières fois, sans peur, sans réserve, sans limite. Il avait chanté parce qu'à ses côtés, il s'était imaginé un avenir. Elle avait été son premier espoir d'une vie autre, teintée de bonheur plutôt que de la terreur constante d'être conduit au bûcher pour une magie qu'il n'avait pas choisie.

           Elle était morte dans ses bras, sous la pluie, face au lac, un sourire accroché aux lèvres. Heureuse d'avoir pu goûter ne serait-ce qu'un instant à la tendresse qu'on lui avait toujours refusée.

           Et Merlin voulait qu'elle vive. Alors il avait écrit, écrit, écrit, écrit et chanté jusqu'à ce que les mots et les sons ne fassent plus aucun sens. Il avait chanté comme les seigneurs chantaient leur dame, avait loué sa magie, sa beauté, sa bonté, avait dévoilé à la musique l'ampleur de son amour et de son désespoir. Les dernières heures, le luth suintait et ses doigts glissaient, s'éraflaient contre les cordes. Sur sa main droite, là où le poignet avait frotté contre la table et cogné contre le chevalet des heures durant, s’était creusée une cicatrice fine, blanche, horizontale. Comme la ligne d'horizon du lac sous la brume, se disait-il.

           L'élégie de Freya avait été le premier texte qu'il avait osé recopier à l'encre. Il l'avait calligraphié soigneusement au dos d'un vieux morceau de parchemin, d'une écriture timide et serrée qui semblait craindre elle-même d'être découverte. Il avait glissé le papier dans le livre de magie qu'il gardait, sagement dissimulé, sous son lit. Souvent, lorsqu'il pensait à elle, qu'ils étaient passés en patrouille à cheval près d'Avalon, ou que se rapprochait la période de l'année où il entretenait son souvenir, il sortait le parchemin de sa cachette et chantait à sa mémoire. Il honorait sa dame, sa vaillance, sa douceur, sa détresse. Il repensait à son sourire, à la chaleur de sa peau, à celle de ses mots. Il repensait au lac, à la brume, à la pluie. Il chantait et, l'espace d'une chanson, la Dame du Lac vivait.

     

    Prologue

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           Avec les années, contrôler et tenir sa magie secrète s'était révélé de plus en plus simple. Comme par effet d'écho ironique, garder la musique discrète, en revanche, devenait de plus en plus ardu. Arthur avait découvert le luth par hasard, un soir où il avait débarqué en furie dans les appartements de Gaius à la recherche de son valet incompétent et fainéant, et Gaius, s'il est encore à la taverne je vais vraiment finir par décorer les murs avec sa tête, mais s'était immobilisé en découvrant Merlin assis à la fenêtre, l'instrument sur les genoux, un pli de concentration au milieu du front et incapable de terminer la ballade dans laquelle il s'était lancé la veille.

     « Merlin ! Qu'est-ce que tu fabriques ? Mon armure ne va pas se polir toute seule ! »

           Elle aurait pu, avait pensé Merlin, si Uther ne vous avait pas convaincu que la sorcellerie n'était bonne qu'à brûler sur un bûcher. Mais le prince avait continué :

    « Si tu tiens vraiment à faire ta dame énamourée, ramène ton machin, mais j'ai absolument besoin de mon armure cérémoniale pour l'adoubement demain matin ! Je te rappelle que tu étais censé préparer mes vêtements et mon bain avant le repas, pas filer en douce dès que j'ai eu le dos tourné ! »

           Et Merlin, incapable de s'en empêcher, avait souri, pris le luth avec lui et disparu à la suite du prince.

           Bien évidemment, Arthur ne l'avait pas laissé y toucher avant d'être immergé depuis un bon quart de chandelle dans l'eau chaude et le savon. Merlin, qui avait posé l'instrument dans un recoin de la pièce le temps de polir l'épée cérémonielle, avait relevé la tête lorsque sa voix s'était élevée entre eux.

    « D’ailleurs, depuis quand tu sais jouer de la mandole, toi ?

     — Je suis un homme de multiples talents, vous n'êtes juste pas très doué pour le remarquer.

     — Merlin. C'est Gaius qui t'a appris ?

     — J'ai appris seul, avait-il avoué, mais elle était à lui, oui.

     — Il te l'a donnée ?

     — Disons plutôt que je me la suis appropriée. »

           Arthur avait pouffé. Puis, d'un mouvement de tête, il avait invité son valet à se saisir de l'instrument. Merlin, pour une fois, avait obéi sagement et saisi le luth de ses doigts tremblants. Arthur le regardait, un air de franche curiosité dissimulé sous une mimique moqueuse. Mais Merlin savait lire son prince aussi bien que la musique. Ces fausses railleries ne lui faisaient plus peur depuis longtemps.

           Il avait alors fermé les yeux un instant. Cherché son courage avec la mélodie. Il avait tant chanté ses exploits, tant loué ses prouesses, dans l'intimité de ses quartiers, qu'il ne savait soudain plus quoi jouer. Que chanter ? Que faire ? Que dire au héros de vos récits lorsque, soudain, il vous écoute ?

     

                                 Prologue|     The Kid on the Mountain - Ronn McFarlane

     

           Timidement, il entama l'air d'un petit rondeau composé quelques années plus tôt, qu'il affectionnait particulièrement et avait écrit en pensant à son voyage jusqu'à Camelot. Au son de l'eau clapotant contre les parois de la bassine, il rouvrit les yeux. La mimique moqueuse avait disparu des traits du prince, remplacée par un air de surprise et d'admiration. Merlin ne s'interrompit pas. Il soutint quelques instants le regard bleu assombri par la pénombre, puis laissa la musique l'emporter. Arthur suivit le mouvement. Son corps s'affaissa dans l'eau et Merlin put voir ses muscles débander puis se relâcher complètement. Ses cheveux blonds, rendus mordorés par la lumière des chandelles, tombèrent contre le rebord. Arthur ferma les yeux. Merlin inspira profondément, laissa les effluves de savon, d'aromates et d'huile de polissage pénétrer ses sens. Il n'avait plus vu Arthur se détendre ainsi depuis la trahison de Morgane.

           S'il n'était alors pas encore roi, Arthur avait pourtant déjà endossé la position de souverain. Uther ne parlait presque plus, mangeait à peine, passait ses journées retranché dans ses quartiers, le regard perdu à l'extérieur, un air hanté au fond des yeux. Il ne tenait à la vie qu'accroché par un fil de lin et grâce aux bons soins de ses serviteurs. Parmi eux, Guenièvre s'était portée volontaire pour s'occuper de lui et l'admiration de Merlin pour la jeune femme n'avait alors fait qu'augmenter. Son amie avait perdu son père des mains d'Uther. Merlin aurait été le premier à comprendre qu'elle cherche à fuir sa présence. Lui-même avait passé des années à éviter de se retrouver seul à seul avec le roi. Au lieu de quoi, elle passait le plus clair de ses journées à s'occuper du vieux souverain et dédiait des soirées entières à essayer de le convaincre de manger ou accepter de discuter avec Arthur. En vain.

           Les chevaliers, unanimement, avaient décidé de ne plus aborder la santé d'Uther auprès de son fils. Le roi n'était déjà plus, ils le savaient. Le conseil le savait. Merlin le savait. Arthur le savait aussi, malgré ses grands discours d'espoir et sa volonté d'inclure son père dans la moindre discussion. Le royaume savait. Tous savaient sans oser le dire : le règne d'Uther touchait à sa fin. Cela n’était plus qu’une question de semaines, de jours peut-être, avant qu’il ne sombre d'un côté ou de l'autre du fil sur lequel il tanguait. Folie ou désespoir, une chose était certaine ; le roi n'était plus.

           Merlin laissa le rondeau tourner trois fois, ému par le silence qu’il venait de créer, incapable de se résigner à sortir Arthur de l'état de bien-être dans lequel l'eau chaude et la musique l'avaient plongé. Lorsque le soleil disparut pour de bon derrière les fenêtres et laissa place aux robes noires de la nuit, il s'interrompit. Il posa le luth, rangea le matériel de polissage, prépara les vêtements du prince régent pour le lendemain, chargea l'armure dans ses bras, puis s'éclipsa discrètement.

           Ce fut seulement une fois rentré dans les appartements de Gaius, couché dans sa paillasse et tourné vers les étoiles, qu'il réalisa qu'il avait oublié le luth dans la chambre d'Arthur.

    Prologue

    Prologue

     

           De cette soirée naquit une habitude. Une fois par semaine, le soir, ses tâches de la journée terminées, Merlin restait quelques temps aux côtés d'Arthur et jouait en silence. Parfois, lorsqu'il sentait le prince fatigué, écrasé par le poids d'une couronne qu'il n'avait pas encore officiellement acceptée, il venait de lui-même, sans être convié, et jouait jusqu'à ce que le sommeil fasse disparaître le pli d'inquiétude qui avait élu domicile sur le front de son ami. S'il était quelque fois resté longtemps après qu'Arthur se soit endormi, simplement pour admirer les reflets de la lune sur le visage du futur roi ou pour terminer un morceau en douceur, le prince ne l'avait jamais su.

           Merlin ne vint pas le soir de la mort de Lancelot.

           Il demeura toute la nuit à la fenêtre de sa chambre et laissa les sanglots remplacer le chant. Gaius, probablement par peur de commettre un impair ou de blesser davantage le sorcier brisé qui lui était revenu le cœur ensanglanté, n’osa même pas toquer à la porte verrouillée.

           La veille de l'anniversaire d'Arthur, Merlin ne vint pas, trop épuisé par les préparatifs. Il tomba sur sa paillasse et s'endormit avant d'avoir eu l’idée de toucher au luth. Le lendemain, l'assassin envoyé par Odin blessait mortellement Uther et sa vie basculait à nouveau dans l'espoir fou, puis la désillusion et la misère. Le soir de la mort du roi, Merlin ne joua pas. Il passa la nuit assis derrière la porte de la salle du trône, seul, incapable de fermer les yeux. La culpabilité rongeait ses os. Au matin, lorsqu'Arthur poussa les grands huis, il laissait derrière lui le corps de son père. Il était roi. La couronne tomba pour de bon sur ses épaules et Merlin oublia qu'ils avaient un jour partagé la musique.

           L'habitude se perdit. Merlin se remit à passer ses soirées seul avec le luth dans ses appartements, puis, avec la naissance d'Aithusa, dans la forêt autour du château. Il découvrit par hasard que le bébé dragon était aussi mélomane que lui et se résolut à s'attirer le plus de glapissements ravis possible lors de leurs entrevues hebdomadaires. Parfois, il oubliait même qu'il avait joué pour Arthur, tant la dragonne était un public enthousiaste. Kilgharrah, qu'il avait chargé de garder un œil sur elle, avait roulé des yeux lorsqu'il avait découvert que Merlin utilisait ses pouvoirs de Seigneur des Dragons pour l'encourager à se trémousser sur la musique. Il avait murmuré dans ses écailles, un de ces commentaires sibyllins dont il avait le secret, puis s'était envolé avant que, pensait-il, Merlin n'ait le temps d'apercevoir la lueur d'affection qui germait dans ses yeux d'ambre. Avec les semaines, puis les mois, Merlin s'était résolu à n'avoir pour public que les pépiements d'Aithusa, les ronflements de Gaius et le silence de sa chambre.

           Après tout, il avait réussi à survivre à Camelot pendant presque dix ans sans être exécuté pour sorcellerie. Taire un peu sa voix ne pouvait pas être bien plus compliqué. Arthur et la musique, se disait-il, étaient peut-être deux parts de son cœur qui n'étaient pas faites pour se rencontrer.

           Une nouvelle habitude naquit dans la solitude. Il verrouilla au loin son cœur brisé et chanta seul. Parvint à se convaincre que la situation lui convenait.

           Il chanta seul lorsque Guenièvre fut bannie de Camelot.
           Il chanta seul lorsque Lancelot lui fut arraché une seconde fois.
           Il chanta seul lorsqu'Arthur se mit en tête d'épouser Mithian et renonça.
           Il chanta seul et abandonna pour de bon l'idée de partager un jour ses notes.

          Puis vint la grande bataille de Camelot. Le retour de Gwen, la mort du traître Agravain, Excalibur tirée hors du rocher, la défaite de Morgane et le véritable avènement du Roi Arthur. Vint le mariage. Les grandes célébrations, le temps d'Albion.

            Et, enfin, la musique revint à Merlin.

     

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     Chapitre 1 - Cache-toiPublié le 03/01/2020

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    Chapitre 1 - Cache-toi

    Chapitre 1 - Cache-toi

     

            Elle lui revint innocemment, par petites bribes. Cela commença un matin. Merlin, un panier en osier rempli de linges propres dans les bras et un second, vide, en équilibre sur le premier, entra comme à son habitude sans toquer dans les appartements du prince, devenus appartements royaux. Il fut surpris d'entendre Guenièvre, sa reine, corrigea-t-il mentalement avec un sursaut de fierté, chantonner à voix basse, concentrée sur les longs cheveux bruns qui échappaient au contrôle de la brosse qu'elle tenait d'une poigne ferme, comme on agrippe un marteau.

            Merlin ne put s'empêcher de sourire. Parfois, il revoyait par éclats la fille de forgeron, la roturière élevée pour servir et non pour régner. Il lui arrivait d'apercevoir son amie au bout d'un couloir, vêtue de ses grandes robes de satin pourpre, et de superposer à son image un fragment de passé, de la revoir adresser une courbette respectueuse, se fondre dans la foule d'un marché, disparaître dans l'ombre de Morgane, murmurer respectueusement un titre du bout des lèvres, triturer le tissu rêche de ses jupes froissées. Parfois, il l'entendait à nouveau babiller, se perdre dans ses propres phrases, s'embarrasser d'un mot trop sincère qui lui avait échappé. Il ne restait plus grand-chose de la jeune femme réservée qu'elle avait été. Si elle avait gardé sa douceur et sa bienveillance, Guenièvre n'était plus la servante maladroite qu'il avait rencontrée dix ans plus tôt, attaché au carcan et couvert de fruits pourris. Elle était reine, à présent.

     « Merlin ! s'écria-t-elle lorsqu'elle le remarqua dans le reflet du miroir.

     — Gwen, salua-t-il à son tour sans réfléchir. Ma Dame, corrigea-t-il immédiatement.

     — C'est le déjeuner ? demanda une troisième voix depuis le paravent. »

                               Chapitre 1 - Cache-toi| Cad é sin don té sin - Caladh Nua

            Merlin leva les yeux au ciel, répondit à Arthur que non, c'était la moisson du linge sale et que, décidément, la couronne avait fait de lui un ventre sur pattes. Guenièvre pouffa et se remit à fredonner. Hypnotisé par le mouvement de ses doigts dans les boucles brunes, Merlin la regarda faire quelques minutes. Il fut brutalement sorti de sa transe par Arthur qui lui lança une paire de braies sur la tête.

     « Eh bien, cette moisson ? nargua-t-il. »

            Merlin se retint de lui tirer la langue et plongea le tissu dans la panière. Le fredon de Gwen l'accompagna alors qu'il rangeait la pièce, rassemblait le linge et préparait les papiers d'Arthur pour le conseil. Emporté malgré lui par la mélodie et le timbre doux de son amie, il ne put s'empêcher de joindre sa voix à la sienne. Guenièvre s'interrompit un instant. Face au silence, Merlin se tut à son tour. Arthur, resté penché sur des rapports de patrouilles à la grande table de chêne, releva les yeux. L'espace d'une minute, Merlin se demanda s'il était possible de se liquéfier d'embarras. Mais Gwen se reprit vite, attrapa son regard et se mit à chanter une ritournelle qu'ils avaient autrefois l'habitude d'interpréter ensemble. Elle retourna à ses propres préparatifs comme si de rien n'était. Et Merlin, qui n'avait jamais pu résister longtemps à l'appel de la musique, suivit sa reine. Ils chantèrent doucement, presque timidement, leurs voix se répondant d'un bout à l'autre des appartements royaux. Arthur, une plume oubliée au bout des doigts, ne manqua pas un seul instant de l'échange. Lorsque le silence revint, il rassembla ses esprits et demanda directement à son valet :

     « D'ailleurs, tu n'avais pas un luth ? »   

            Le sourire de Merlin fut une réponse en lui-même.

     

    Chapitre 1 - Cache-toi

    Chapitre 1 - Cache-toi

     

           Et ainsi, l'habitude revint. Un soir sur deux, parfois tous les soirs, Merlin restait auprès de ses amis après avoir débarrassé le couvert et jouait jusqu'à ce que la nuit tombe. Parfois, Guenièvre l'accompagnait et chantait doucement au rythme de ses doigts. Sa voix, pas plus haute qu'un murmure, grave et douce, avait sur Merlin l'effet d'un baume. Elle chantait, et soudain, respirer était plus simple. Soudain, elle n'était plus reine et il n'était plus valet du roi. Elle chantait, et plus rien n'existait que le luth sous ses doigts.

            Lorsque l'hiver agrippa le château, Merlin se prépara à voir ces précieux moments raccourcis, se résigna même à devoir renoncer à l'habitude jusqu’au retour du printemps, mais Guenièvre insista pour qu'il joue toujours quelques morceaux avant de les quitter. Trop heureux, Merlin ne protesta pas. Ces heures dédiées à la musique avaient un goût d’illicite, de pâtisserie volée dégustée sous le portique avant l’entrée des dames, et lui donnaient une excuse parfaite pour demeurer aux côtés du couple royal.

            Après le couronnement d'Arthur, il avait vu le roi s'éloigner de lui sans pouvoir agir. Oh, il avait essayé de le retenir. De jouer la carte de l'abruti, du serviteur empoté, pour retenir son ami à ses côtés. Rien ne fonctionnait plus de quelques jours. Arthur, irrémédiablement, finissait toujours pas être happé par un entraînement, une réunion, une séance du conseil, une autre réunion, des doléances, encore une réunion, des préparations d'entraînements, de nouveau une réunion, une préparation du conseil... et Merlin avait vu les heures qu'ils partageaient autrefois s'effilocher, s'éparpiller, puis devenir clairement monnaie rare.

            Finalement, après quelques semaines, il s'était résigné. L'ère de leur amitié était terminée. Arthur était roi. Jeune roi, de surcroît, héritier d'un souverain autoritaire et exigeant. Il devait œuvrer deux fois plus dur pour être accepté et respecté par les autres royaumes. Merlin avait alors regardé, impuissant et luttant de toutes ses forces pour empêcher son cœur de se fendre un peu plus, les cernes s'alourdir sous ses yeux, ses traits se durcir et une ride se loger sur son front pour ne plus le quitter. Il savait qu'Arthur allégeait ses tâches en journée, probablement conscient que le rôle de valet du roi était bien plus demandeur que celui de valet du prince. Si Merlin lui était reconnaissant, il ne pouvait s'empêcher d'être attristé. Chaque corvée qu'il déléguait leur retirait aussi du temps à partager.

            Mais Arthur n’était pas le seul à lui manquer. Le mariage avait aussi éloigné Guenièvre de son orbite. Il ne la rencontrait plus aux cuisines, ni aux étables, ni les jours de marché. Ils se croisaient aux sorties d'audiences, parfois le matin lorsqu'elle regagnait ses appartements adjacents à ceux du roi et que Merlin apportait le déjeuner. Il savait qu'elle travaillait dur pour faire accepter son autorité auprès des vieilles corneilles du conseil, tentait de rattraper les enseignements qu'elle n'avait jamais reçus pour être la meilleure reine possible malgré son origine roturière. Guenièvre avait beau faire partie, avec Merlin, des rares serviteurs lettrés de la cour, elle avait rapidement été dépassée. Les premiers temps, avant même qu’Arthur n’ait demandé sa main pour la première fois, Merlin s'était chargé de lui apprendre le peu de latin qu'il connaissait, puis Gaius et Geoffroy avaient pris sa relève pour lui inculquer trivium et quadrivium une fois la reine couronnée. Depuis le mariage, elle passait chaque heure de libre le nez plongé dans d'épais livres de stratégie militaire, dans des armoriaux, des glossaires latins ou d'autres folios franchement intimidants. Dans ce lourd programme, il comprenait sans mal qu'elle peine à trouver du temps pour un simple serviteur. Comment aurait-il pu lui en vouloir de sacrifier leur amitié pour le bien du royaume ?

            Dans la longue série de paradoxes que semblait générer la couronne, Merlin avait également remarqué que la distance s’était creusée entre reine et roi.  Tous deux avaient après tout pris l'habitude au cours des années de se voir au détour d'un couloir, camouflés dans des alcôves, des placards, les appartements de Gaius ou des recoins de forêt. Tirés hors du secret, hors de l'interdit, ils semblaient peiner à créer de nouvelles habitudes et n'osaient plus sacrifier leurs devoirs pour quelques minutes avec l'autre. Merlin soupçonnait aussi la trahison de Gwen de demeurer inexpliquée, taboue, entre eux. Leurs seuls moments d'intimité étaient en soirée, les rares fois où le conseil et les audiences ne mordaient pas sur l'intégralité de l'après-midi, ou bien les matins où Arthur renonçait à diriger l'entraînement de ses chevaliers.  

            Les premières fois, Merlin s'était senti embarrassé d'empiéter avec sa musique sur le peu d'intimité que le couple royal pouvait dénicher, de leur dérober de rares occasions de se retrouver. Puis, il avait compris. Lorsqu'il jouait, tous deux n'avaient d'autre choix que de se détendre et de l'écouter. Aux premières notes du luth, roi et reine posaient plumes et parchemins. Souvent, ils se lovaient l'un contre l'autre dans le grand lit et fermaient les yeux. Mais parfois, l'un ou l'autre se levait et observait la ville par la fenêtre. Un soir, Arthur s'endormit à même la table, bercé par une mélodie douce que Merlin avait transformée en berceuse, la joue enfoncée dans la paume de sa main. Il fallut à Gwen plusieurs tentatives avant d'arriver à le convaincre de se lever pour rejoindre le lit.

            Le luth, découvrit Merlin, n'était plus seulement un compagnon. Le luth était un chemin. Un passage vers les amis que la couronne avait failli lui dérober. Il se mit à chérir ces moments de tout son cœur, à les attendre en journée, à composer de nouvelles ballades pour ces soirées. Le sourire d'Arthur et le regard tendre de Gwen lorsqu'il empoignait l'instrument valaient bien, se disait-il, le sacrifice du mensonge.

     

    Chapitre 1 - Cache-toi

    Chapitre 1 - Cache-toi

     

            Un soir, par le luth, il découvrit qu'il n'était pas le seul à garder des secrets.

           Guenièvre avait attrapé un rhume ramené de patrouille par Arthur. Rien d'inquiétant, avait garanti Gaius en lui prescrivant des infusions, mais la reine devrait garder le lit quelques jours. Après avoir mouché la bougie et lui avoir assuré qu'elle se sentirait mieux au matin, Merlin regagna les appartements du roi par la porte de jonction. Arthur, bien évidemment, l'attendait de pied ferme, une ride d'inquiétude fermement logée entre ses sourcils.

     « Comment va-t-elle ?

     — Elle va bien. Pour la troisième fois, Sire, c'est juste un rhume. »

            Le roi se passa nerveusement la main dans les cheveux. Il semblait se retenir d'aller rejoindre sa femme pour vérifier de lui-même les dires de son valet.

     « Arthur, murmura-t-il gentiment. »

            Il savait que dans ces rares instants, il avait le pouvoir de rassurer le roi d'un simple regard. Il ignorait ce qu'Arthur lisait dans ses yeux, sur son visage ou dans sa voix, mais cela parvenait toujours à le calmer ou lui faire entendre raison. D'un mouvement de tête, il l'invita à rejoindre le lit et se percha sur le rebord de la fenêtre, le luth dans une main. Mais Arthur n'obéit pas à l'ordre implicite. Il s'approcha précautionneusement et s'adossa à son tour contre l'arête de l'alcôve. Les vitraux projetaient sur son visage des ombres colorées que Merlin ne parvint pas à lâcher du regard. Il y avait autre chose, comprit-il soudain. La santé de Gwen n'était que la goutte d'eau qui faisait déborder un vase déjà plein. Merlin se décala sur la pierre. Arthur comprit et s'assit, face à lui, sur le rebord. Tous deux tournèrent leurs yeux vers la haute-cour en contrebas, éclairée par les torches de la garde. Merlin attendit. Il savait d'expérience que quoi qu'Arthur ait en tête, il finirait par rompre le silence de lui-même. Quelques instants plus tard, le roi lui donna raison et murmura :  

     « Est-ce bien judicieux, de recevoir Lot et sa cour au château ? 

     — Pourquoi ne le serait-ce pas ? Nous sommes en paix avec Escetir, non ?

     — L'idée, c'est d'essayer de le devenir... » 

           Merlin soupesa la chose quelques instants. Les négociations avec le roi Lot duraient depuis plus d'un an. Le souverain n'avait que très peu apprécié leur excursion à Ealdor qui s'était terminée par l'apparition du Grand Dragon et l'incendie de plusieurs hectares de cultures. Arthur, déterminé à éviter une guerre au royaume, faisait tout son possible pour établir un traité de paix qui puisse convenir à l'autre roi sans toutefois nuire à Camelot, mais la rancœur de Lot envers les Pendragon était enracinée profondément et il se montrait parfois digne héritier de Cenred, son prédécesseur sanguinaire. Arthur avait de quoi perdre le sommeil. Escetir était un royaume frontalier et une importante puissance militaire. En cas d'attaque, Camelot risquait gros. Ils avaient tout intérêt à faire de Lot un de leurs alliés et à s'assurer de la pérennité de leurs accords.

     « Vous lui avez proposé de venir signer le traité de paix à Camelot, répondit finalement Merlin. Il sera reçu avec les égards qu'il mérite, comme un ami du royaume. À partir de là, s'il décide de trahir sa parole et tenter quoi que ce soit, vous n'y pourrez rien. Vous avez déjà fait tout votre possible. »

            Arthur soupira. Merlin se retint d'étendre le bras face à lui. Poser sa main sur son épaule, la serrer. Ils avaient beau s'être rapprochés, il faudrait plus que quelques années à Arthur pour se défaire de l'impression que tout geste d'affection entre eux serait perçu comme une preuve de faiblesse. Merlin maudit une fois de plus Uther et ses prétendues leçons de virilité. Arthur était tactile de nature. Vingt-cinq ans de restrictions, de colères de son père lorsqu'il s'était montré trop affectueux avec ses hommes ou sa sœur avaient fait des dégâts. Résultat, il se tenait à distance la plupart du temps, serrait une main plutôt qu'un dos, dissimulait son besoin de contact derrière des gestes brusques et un peu rudes.

          Avec Merlin, cependant, c'était différent. Comme souvent, il était l'exception, l'électron libre dangereux et attirant, prêt à renverser le système. Le prince avait appris plusieurs années auparavant que les claques sur l'épaule, les chamailleries et autres coups de poing prétendument revigorants sur le bras n'étaient pas suffisants. Avec Merlin, les gestes de lutte, de camaraderie guerrière, n'étaient qu'un jeu. Une façade légère, de malice et d'humour, un enchevêtrement de petites scènes sur le grand théâtre de la cour, où chacun interprétait son rôle avec passion. Oh, Merlin aimait ce jeu. Il aimait taquiner son roi, être chahuté en retour, tester les limites de ce qu'Arthur lui laisserait passer en public.

            Mais le jeu cessait parfois entre les murs de ses quartiers, lors des patrouilles qu'Arthur menait accompagné seulement de ses plus proches chevaliers, dans la solitude de la forêt lorsqu'ils partaient chasser tous les deux quelques jours hors du château. Dans ces instants, hors du jeu et hors des masques, Merlin sentait le roi tendre vers lui comme la corde d'un arc, dont la flèche ne partait jamais et qui demeurait, perpétuellement bandé, perpétuellement tendu à craquer, à la lisière du douloureux.

            Souvent, Merlin s’était demandé ce que forcer le tir aurait pu causer. Que ce serait-il passé, s’il avait un jour osé attraper son roi et le serrer contre lui, avec toute la force de sa dévotion, toute l’ardeur de sa foi et de son amitié ? Arthur aurait-il compris ? Aurait-il accepté de s’abandonner à la chaleur de son valet ?

            Mais Merlin n’avait jamais eu le courage de combler la distance. Craignait de briser l’arc en deux en forçant le départ de la flèche. Dix ans d'amitié, soupira-t-il intérieurement. Dix ans d'amitié, et il avait parfois l'impression de s’être condamné à ne rien changer.   

     « J'espère qu'il tiendra parole, murmura Arthur, tirant Merlin hors de ses réflexions.

     — J'espère aussi. »

            Il serait lui-même vigilant. Contrairement à Camelot, le Royaume d'Escetir était après tout ami de la magie et bon nombre de sorciers qui avaient fui Camelot durant la Grande Purge d'Uther s'étaient réfugiés sur les terres de Cenred. Le père de Merlin n'avait pas été une exception. Parmi les assassins qui avaient cherché vengeance au cours des années, beaucoup venaient de l'Est et d'Escetir. Arthur surveillerait un complot politique. Merlin, une attaque magique. Il devrait simplement s'assurer que son roi ignore qu'il enquêtait lui aussi.

     « Quand arrivent-ils ?

     — Pour Imbolc, répondit Arthur. Dans quelques jours. »

            Cela laissait à Merlin le temps de faire le tour des protections magiques du château, vérifier les enchantements des armures d’Arthur et rassembler quelques herbes nécessaires aux sortilèges de soin les plus élémentaires. Juste au cas où. Il lui faudrait également demander à Aithusa de ne plus s'approcher de Camelot le temps des négociations. Le dragon blanc pouvait se montrer étrangement curieux et il ne tenait pas à déclencher une guerre ou un incident diplomatique. La dernière fois qu'il l'avait vue, quelques semaines plus tôt, elle peinait encore à diriger ses flammes.  

     « Quoi qu'il se passe, Sire, je serai à vos côtés. »

            Arthur tourna enfin le regard vers lui, le dévisagea de longs instants puis sourit. Un de ses sourires éreintés que l'épuisement ne parvenait pas à faner.  

     « Merci, Merlin. »

            Le dénommé haussa exagérément les sourcils.

     « Dieux ! J'ai droit à un merci aujourd'hui ! Quel honneur, mon seigneur !

     — Te monte pas la tête, tu restes le valet le plus incompétent des Cinq Royaumes, répliqua Arthur en poussant son mollet du bout du pied. »

            Le mouvement fit basculer le luth, oublié en équilibre sur les genoux de Merlin. Ce dernier tenta de l'empêcher de glisser mais ne parvint qu'à accélérer sa chute. Arthur, plus rapide, le rattrapa d'un geste souple avant qu'il ne puisse tomber au sol. Ils se dévisagèrent, conscients d'avoir évité le pire.

     « C'est votre faute.

     — Ah ben voyons !  

     — Votre faute.

     — Ton luth !

     — Et votre pied ! »

            Arthur lui adressa sa moue mi agacée mi affectueuse qui signifiait habituellement que Merlin allait très prochainement prendre un objet sur la tête. Seulement, l'unique objet qu'Arthur avait actuellement en main était...

     « Pas le luth, pas le luth !

     — Je ne vais pas te frapper, enfin !

     — Dit-il, marmonna l'intéressé. Rendez-moi ça, vous allez me le désaccorder et même si vous arriviez à le tenir, vous ne pourriez même pas jouer deux notes d'affilée ! 

     — Bien sûr que si, je pourrais ! s'offusqua automatiquement Arthur. »

            Merlin s'immobilisa. Haussa un sourcil.

     « Vraiment ? »

            Arthur rosit. C'était presque imperceptible dans la pénombre et à travers les lueurs des vitraux, mais Merlin connaissait par cœur ses traits et était devenu capable d'y discerner le moindre changement.

     « Vous, roi je-ne-touche-pas-au-moindre-truc-associé-de-près-ou-de-loin-à-la-féminité-parce-que-je-risque-d'aimer-ça Arthur, vous qui me soutenez que mon amour pour la musique fait de moi une petite fleur délicate, vous qui vous moquez de moi dès que je réconforte vos chevaux ou prends ne serait-ce que trois minutes pour jouer avec les chiens, vous, vous savez jouer du luth ?

     — Je n’ai jamais dit ça. Et je ne suis pas allergique à la féminité, où est-ce que tu vas chercher ça...

     — Oh, donc l'affaire des bleuets, je l'ai rêvée ? Parce que franchement, ça vous allait à ravir, Sire.

     — Merlin !

     — J'imagine que l’essence de rose dans votre bain, j'arrête, également ? Et la lavande au-dessus de votre lit, aussi ?

     — Merlin... gronda Arthur. »

            Il lui renvoya un regard peu impressionné. Dix ans de cohabitation avec Gaius et son Sourcil, dix ans passés à supporter les accusations d'un vieux dragon centenaire, le regard de glace d'Uther et le tempérament du prince l'avaient habitué à bien pire.

     « Franchement, je demande à voir, s'amusa Merlin, taquin. »

            Il désigna le luth d'un regard. Arthur, vexé et déterminé à prouver à son valet qu'il se trompait, empoigna l'instrument sans douceur.

     « Eh bien, tu vas voir ! »

            L'instant se cristallisa. Les mains d'Arthur, réalisa Merlin, s'étaient placées correctement sur le manche et la table d'harmonie. Il haussa les sourcils, surpris. Il ne pensait pas qu'il y avait du vrai dans le cri du cœur de son souverain. Dire qu'il croyait tenir une occasion en or pour lui rendre la pareille et se moquer un peu de lui... Il se rappela alors bêtement que la musique faisait partie des arts libéraux inculqués à la noblesse. Arthur avait forcément acquis des rudiments d’interprétation et de composition. Mais la gêne de son ami cachait autre chose, il en était persuadé. Une autre histoire. 

            Arthur pesta, posa ses doigts sur les cordes, les déplaça une fois, puis deux, puis trois, blâma le luth, les mains noueuses de Merlin, déplaça à nouveau ses paumes, ses genoux, le front plissé de concentration. Enfin, il pinça sa première note. Puis sa seconde. Puis une troisième, une quatrième. Une mélodie germa timidement entre eux. Penché sur l'instrument, concentré sur l'emplacement des doigts de sa main gauche, Arthur fit mine de n'accorder aucune attention à son valet.

            La musique était loin d'être parfaite. Ses doigts hésitaient souvent, s'emmêlaient sur la touche, frottaient contre la rosace. Certaines notes naissaient un peu fausses, trop appuyées ou trop tenues.

            Merlin n'en perdit pas une miette. Sous ses yeux venaient de se réconcilier les deux choses qu'il aimait le plus au monde.

            Ce n'était pas très harmonieux. C'était timide, trop décousu pour être rythmé, imparfait.

            C'était la plus belle musique qu'il avait jamais entendue.

          Lorsqu'il comprit que son serviteur n'interviendrait pas, Arthur se détendit. La musique suivit. Ses doigts, moins raides, se mirent à caresser les cordes plutôt qu'à les tirer fermement. Merlin, dont le souffle s'était perdu quelque part entre deux notes, sentit sa magie enfler au creux de ses veines, demander à entrer au contact du son qui vibrait dans l'air, qu'il aimait tant mais n'était pas le sien. Il venait de découvrir une nouvelle facette d'Arthur. Une part de lui qu'il avait gardée précieusement, protégée des moqueries de ses chevaliers dans le secret.

            Secret que son ami lui offrait à présent.

           Aurait-il pu se confier à son tour ? Comment pouvait-il accepter recevoir la confiance du roi, camouflé dans le mensonge, dans l'omission ? Qui était-il, pour accepter la confidence et refuser de donner en retour ?

            Lorsqu'Arthur s'arrêta et releva la tête, un air de pure fierté peint sur ses traits, Merlin réalisa que sa gorge s'était serrée. Le roi dévisagea son valet. Haussa un sourcil moqueur, une lueur inquiète prête à poindre dans ses yeux.

     « Oh, mais… Tu ne vas pas te mettre à pleurer, quand même ? »

            Merlin porta une main à ses yeux. Il ne pleurait pas. Mais comment expliquer à Arthur que la boule dans sa gorge était celle d'un secret impossible à avouer ?

     « Et après tu veux me faire croire que tu n’es pas une demoiselle énamourée, franchement, Merlin...

     — Ah-ha, rétorqua-t-il en bousculant les genoux de son ami du bout du pied. Qui est-ce qui vous a appris à jouer comme ça ? »

            Arthur baissa les yeux. Perdit son sourire.

            Et Merlin comprit soudain pourquoi le roi lui avait caché sa musique de si longues années.  

     « Morgane, confirma-t-il à voix basse. Quand on était enfants. Elle disait que cela me servirait plus tard, pour courtiser ma dame, gagner ses faveurs, donner l'impression que je ne suis pas qu'un tas de muscles en armure... Je crois surtout qu'elle appréciait de pouvoir me regarder droit dans les yeux et me dire que j'étais moins bon qu'elle dans un domaine. »

            Ils échangèrent un regard attristé. C'était la première fois depuis sa trahison que Merlin entendait Arthur parler de sa sœur avec nostalgie plutôt que regret et rancœur.

     « En tous les cas, je ne me serais jamais douté que cela me permettrait un jour de prouver à mon valet incompétent qu'il a en réalité un cœur de courtisane, fit Arthur.   

    — Ah, je suis courtisane maintenant ? s'amusa Merlin, soulagé de retrouver le sourire de son roi et déterminé à effacer pour de bon l'air peiné qui était apparu sur ses traits. Avant-hier, j'étais une fermière !

    — C’est une fulgurante ascension sociale, j’en conviens.

    — Je crois que je préfère rester fermière. Si j'étais courtisane, je risquerais de devoir fréquenter des crétins royaux. Il parait même que certains lancent des assiettes sur leurs serviteurs !

    — C'est arrivé une fois, se défendit Arthur, et elle était vide !

    — C'est censé me réconforter ? 

    — Ça devrait ! »

           Merlin fit mine d'être profondément ébahi et posa une main sur son cœur.

    « Son Altesse est trop bonne, de me lancer des assiettes vides ! Ô monseigneur, merci de ne pas m'avoir en plus jeté sur la tête l'os de poulet et le panais que vous aviez trié comme un enfant !

    — Chhhhht, rit Arthur, tu vas réveiller Gwen ! »

           Ils se sourirent. Le jeu se fana. Arthur avait raison. Tout à leurs chamailleries, ils avaient haussé la voix sans s'en rendre compte. La reine avait beau dormir dans les appartements d'à-côté et les murs de pierre être assez épais, ils n'étaient séparés que par une petite porte de bois qui, elle, n'offrait pas un grand isolement sonore. Le silence s'installa tranquillement. Arthur, qui avait gardé le luth dans les mains, finit par le rendre à Merlin.

    « Je pourrais continuer à vous apprendre, si vous le souhaitiez, murmura-t-il. »

           Arthur sembla prêt à refuser. Hésita. Puis il murmura à son tour :

    « Pourquoi pas, après tout. Surtout que ça a l'air d'être un moyen efficace pour te faire taire. Et peut-être que ça t'empêchera de pleurnicher à chaque fois. »

           Le sourire éclatant que lui renvoya Merlin le fit rouler des yeux et tourner le regard.

    « Mais pas ce soir, je ne voudrais pas risquer de vraiment déranger Gwen. Elle a besoin de repos, et en toute honnêteté, nous aussi. »

           Merlin hocha la tête. Il était tard. Le sommeil commençait à pulser sous ses paupières et il ne demandait qu'à disparaître dans les bras de Morphée. Il se releva, posa soigneusement le luth sous la fenêtre, rassembla les vêtements du roi pour le lendemain et s'apprêtait à fermer le placard lorsque sa voix résonna derrière lui. 

    « Tu dors dans l'antichambre cette nuit ? »

           Arthur se serait probablement embroché sur Excalibur plutôt que d'avouer qu'il détestait dormir seul depuis la trahison de son oncle. Mais Merlin savait. Alors Merlin restait.  

    « Oui, répondit-il simplement, sait-on jamais, je tiens à rester disponible pour Gwen. »

           Et pour vous, se retint-il d'ajouter. Il n'avait après tout nullement prévu de dormir hors des appartements de Gaius cette nuit-là. Oublieux des concessions de dernière minute de son serviteur, le roi hocha la tête et retourna à ses propres préparatifs. Merlin envisagea un instant monter prévenir le médecin qu'il passerait la nuit avec Arthur, puis se ravisa. Il faisait sombre depuis plusieurs heures et le vieil homme était probablement couché. Lorsqu'il se réveillerait le lendemain matin, Merlin serait déjà de retour. Gaius était habitué à ne pas le voir rentrer toutes les nuits, raisonna-t-il en se remémorant les nombreuses fois où il s'était endormi dans les bois avec Aithusa ou avait couché dans l'antichambre.

           Il termina de préparer les papiers pour le conseil, s'appropria les parchemins usés qu'Arthur le laissait récupérer et mit une brique au feu. Habituellement, il chauffait discrètement la pierre avec sa magie, mais avec le roi si proche il n'osait pas risquer un sort, même discret. Il étouffa un bâillement contre sa main et pouffa lorsqu'un second résonna dans son dos.

    « Vous devriez vous coucher, Sire.

    — Pour une fois, je vais suivre ton conseil, je crois, céda Arthur. »

           Il disparut derrière le paravent et réapparut quelques minutes plus tard, changé et déterminé à se réfugier sous les couvertures le plus vite possible.

    « Meeeeerlin, geignit-il, mon lit est froid !

    — Si vous aviez attendu trois minuscules minutes avant de vous jeter sous les draps, marmonna l'intéressé dans sa barbe inexistante, peut être que j'aurais eu le temps d'y glisser la brique.

    — Arrête de râler et amène-la moi, cette brique, réclama Arthur. Et puis c'est ta faute, c'est toi qui m’as dit d'aller dormir. »

           Merlin envisagea de lui lancer la pierre sur la tête. Pour le principe. Il attrapa un linge, se pencha vers le feu et grimaça. Évidemment, elle n'était pas assez chaude. Il tourna la tête. Arthur, le nez enfoncé dans les coussins, ne surveillait pas ses gestes. Il tendit la main, murmura un sort entre ses dents et enroula la brique dans le linge. Entre ses bras, le paquetage était délicieusement chaud et le resterait magiquement une bonne partie de la nuit.

    « Allez, poussez-vous, somma-t-il en tirant les couvertures d'une main. »

           Arthur se retrouva soudainement exposé à l'air frais des épaules aux mollets, frissonna et pesta. Dans l'imbroglio d'insultes grommelées à mi-voix, Merlin crut entendre l'habituel « valet incompétent », sa variante « tête de nœud » et ce qui ressemblait fortement à « il t’aurait suffi de soulever le bas des draps », mais ne répondit rien. D'un geste habitué, il poussa la brique emmaillotée jusqu'au pied du lit et tira à nouveau les couvertures sur le roi.

    « Prends-en une pour toi aussi, il va faire froid, marmonna Arthur, ses mots à moitié étouffés par un coussin. »

           Merlin sourit. Il aimait cet homme qu’Arthur devenait parfois, la nuit tombée. Loin des regards de sa cour ou de ses chevaliers, réduit par la fatigue à une version de lui-même qu’il ne poliçait pas, et qui se trouvait être brutalement honnête et compatissante.

    « Ce sera fait, ne vous en faites pas. »

    Il chauffait sa propre brique par magie, mais Arthur l'ignorait. Il s'apprêtait à souffler la bougie lorsque la voix du roi s'éleva depuis le monticule de couvertures.

    « Bonne nuit, Merlin.

    — Bonne nuit, Sire. »

           La lumière s'éteignit et Merlin rejoignit l'antichambre. Il réchauffa d'un sort la bassine encore savonneuse laissée par Arthur quelques heures plus tôt et se força à une toilette sommaire malgré le froid et la fatigue. Enfin, il retira ses vêtements, attrapa le chainse propre qu'il laissait dans la pièce, le passa sur son corps grelottant et se lova à son tour dans le petit lit. Il frissonna, poussa la brique du pied. Elle se mit à chauffer.

           L'antichambre était bien plus confortable que la paillasse de Gaius sur laquelle il dormait au quotidien. Pourtant, il ne parvenait pas à accepter la demande d'Arthur et emménager pour de bon aux côtés du roi.

           Oh, il aimait être proche. Il aimait pouvoir laisser la porte de communication entrouverte, être bercé et rassuré par les ronflements de l'ours d'à-côté. Il aimait entendre Gwen chantonner le matin, aimait lorsqu'elle toquait gentiment sur le battant pour le réveiller, aimait ouvrir les yeux avant eux, les entendre discuter à voix basse aux premières heures du jour, aimait leurs petites piques et chamailleries. Il aimait cette proximité. Et il l'aimait tant qu'elle était parfois difficile à supporter.

           Arthur et Gwen ne savaient pas. Arthur et Gwen l'aimaient comme un valet, un confident, un ami peut-être. Mais Arthur et Gwen ne savaient pas. Alors il était plus simple pour Merlin de refuser, retourner le soir auprès de Gaius, Gaius qui savait, Gaius qui l'écoutait, Gaius qui lui apprenait tout ce qu'il savait sur la magie. Gaius qui l'aimait comme un fils malgré tout. Gaius qui ne comprenait pas et ne comprendrait jamais, mais essayait.  

           Si Arthur et Gwen savaient, songea tristement Merlin, jamais ils ne lui auraient proposé d'aménager correctement l'antichambre, de l'agrandir suffisamment pour en faire ses propres quartiers. Comme souvent, la pensée l'accompagna jusqu'à ce que le sommeil ne le prenne. Il rêva une fois de plus d'un monde meilleur, où sa magie n'était pas un dangereux secret, où il était accepté, apprécié. Aimé. Il rêva qu'Arthur jouait à ses côtés. Qu'ils chantaient. Qu'il savait. Il rêva que Gwen le laissait tresser ses cheveux d'un filament de magie. Il rêva à un avenir impossible.  

           S'ils savaient.

           S'ils savaient ?

           Jamais.

     

    Chapitre 1 - Cache-toi

    Chapitre 1 - Cache-toi

     

           Le roi Lot et sa cour arrivèrent quelques jours plus tard. Merlin suivit des yeux le défilé des nobles et des chevaliers depuis les marches où roi, reine et conseillers s'étaient rassemblés pour accueillir leurs invités. Il inspecta scrupuleusement les visages des nouveaux venus, seigneurs comme serviteurs, attentif aux vibrations de sa magie. Après tout, il s'était rarement trompé lors de ses premières impressions. Il n'était jamais à l'abri d'un confrère capable de dissimuler ses intentions, bien évidemment, mais il savait d'expérience que même face à des sorciers, il y avait toujours un quelque chose, un je-ne-sais-quoi qui dénotait, crispait la magie dans ses veines et le poussait à la méfiance. Il pouvait faire confiance, avait-il appris, à son pouvoir. La plupart du temps. 

           Arthur s'avança le premier et salua l'autre roi. Les deux hommes se jaugèrent, chacun bombant le torse plus haut que l'autre, puis se serrèrent la main. Merlin s'empêcha de rouler des yeux. Il avait connu des coqs moins tonitruants, mais cela semblait l'apanage de la couronne. Peut-être était-ce l’une de ces étranges transformations opérées par la prise de pouvoir. Peut-être, sourit-il sans pouvoir se retenir, que le rôle de roi tenait plus du coq paradeur que du stratège ou du combattant.

           Face à lui, Lot, un homme corpulent, au visage rond et au regard clair, dégageait la calme assurance de la noblesse d'épée, parlait d'une voix mesurée et semblait extrêmement attentif à son environnement. Paon plus que coq, rectifia-t-il. Avec un peu de chance, le seigneur aurait plus d'intelligence que ces bestioles... Vêtu aux couleurs de ses armoiries de sable, d'hermine et d'or, il se déplaçait d'un pas tranquille mais favorisait sa jambe gauche. Merlin fronça les sourcils et nota mentalement de se renseigner. Discrètement, bien entendu. Il était après tout plus probable qu'il s'agisse d'une ancienne blessure de guerre que d'une arme dissimulée pour attaquer les Pendragon, mais il était rarement trop prudent.

           Il ne voulait pas tomber dans la paranoïa, mais la voix de Tristan n'avait jamais vraiment pu quitter son esprit depuis la Grande Bataille. S'il y avait eu du vrai dans les invectives du chevalier errant, Lot s'était toutefois révélé bien moins sanguinaire que prévu. Tristan, avait découvert Merlin, déformait les actes du roi, en inventait d'autres qui seyaient mieux à son récit, à son ancienne occupation de contrebandier. Il avait découvert en même temps qu'Arthur que Lot, cela était vrai, n'était pas tendre avec ses traîtres ou ses ennemis, mais il n'était ni cruel ni sadique. Bien loin du portrait de bourreau assoiffé de sang et semeur de cadavres qui avait été brossé de lui.

           Oh, il avait été hostile les premiers mois des négociations, mais avec le recul, Merlin était prêt à en comprendre les raisons. Faire affaire avec Arthur, dont le père avait exécuté à la chaîne des sorciers pendant vingt ans et était parfois allé jusqu'à rompre des traités de paix pour les poursuivre hors des terres de Camelot, pouvait être compliqué. Surtout quand la première action diplomatique dudit héritier avait été d'attirer par mégarde des troupes armées dans le petit village d'Ealdor et de semer chaos et destruction dans son sillage. Avec le temps toutefois, Lot avait fini par accorder du crédit au jeune roi. Dès l'instant où il s'était penché sur le fond du traité de paix qu'il lui proposait, son attitude avait changé. Merlin n'avait aucune raison de douter de sa sincérité. En théorie.  

           En pratique, malgré tout, la voix de Tristan ne parvenait pas à le quitter.

           Dieux que l'homme le frustrait, parfois, même absent. Dieux qu'il aurait aimé pouvoir ne rien savoir, construire ses propres perceptions de Lot, effacer les récits du contrebandier de sa mémoire. Mais Merlin semblait destiné à être hanté par les voix prétendument véridiques ou prophétiques des absents.

           Destiné à subir les récits des autres sans jamais être capable de mener le sien.

           Arthur l'appela pour le présenter à leur hôte et assurer ses services, alors Merlin se hâta à ses côtés, s'inclina respectueusement et repoussa ces sombres considérations loin de son esprit. Lot le dévisagea rapidement puis retourna son attention sur Arthur. Il n'y avait bien qu'à Camelot, se dit Merlin, que les seigneurs reconnaissaient leurs serviteurs et leur accordaient une attention de plus de quelques secondes. Il était prêt à parier que Lot ne connaissait de la horde de visages qui se pressaient dans la cour derrière lui qu'un ou deux noms en plus de celui de son page. Et encore. Il était tout à fait possible qu'il ne sache même pas le prénom du jeune garçon qui le suivait comme son ombre et croulait sous les sacs. Dix ans plus tôt, cela avait été le cas d'Arthur. Il se souvenait encore, avec la nostalgie d'une époque révolue, du jeune écuyer qui était encore au service du prince lorsqu'il l'avait rencontré. Puis Merlin était arrivé. Était devenu le premier serviteur d'Arthur à ne pas prendre ses jambes à son cou après quelques semaines ou être soudain rapatrié aux écuries. Le premier à répondre, le premier à se défendre, le premier à rester. Le premier, pensait-il souvent, à voir en Arthur l'homme avant le noble.

           Et Merlin, qui n'avait pas été élevé pour servir la noblesse, n'avait alors aucune idée des protocoles. De l'acceptable. Du convenable. Des tabous, des interdits, des dangers de l'étiquette. Ses premières semaines au service du prince avaient été pour le moins... animées. Il avait appris certaines convenances avec le temps, mais avait refusé de plier le joug face à d'autres. Arthur, amusé malgré lui par son impertinence, l'avait laissé faire.

           Alors Merlin avait pris l'habitude de raconter au prince les ragots du château, les magouilles qui se jouaient parmi le personnel, les alliances, les histoires d'amour et de déceptions, les messes basses sur les nobles, les secrets qui circulaient sous le couvert. Il savait que Gwen, pour avoir vécu des années au service de Morgane, était familière du système et ne sous estimait pas son importance. Mais il avait fallu à Arthur plusieurs années pour comprendre qu'un ragot de cuisine, s'il pouvait certes être divertissant, pouvait aussi être diablement utile. À présent, Merlin savait que leur roi aurait été capable de donner le nom des cuisinières, de son échanson, des garçons d'écurie, des lavandières, des pages et des écuyers, comme de pointer les frères et les sœurs ou les inimitiés parmi ses serviteurs.

           Un roi attentif, lui avait-il dit, était un roi compétent. Un roi compétent, un roi respecté. Un roi respecté, un roi apprécié. Et la loyauté d'un peuple commençait par celle du roi pour ses sujets.

           Lot se tourna vers Gwen et leur discussion reprit. Merlin releva la tête, attrapa le regard d'Arthur. Le roi hocha subrepticement la tête. Rien à craindre, disaient ses yeux. Il put presque entendre sa voix moquer sa méfiance maladive. Arthur disparut dans le château. Merlin le confia à sa reine, à ses conseillers et ses gardes, fut attrapé à son tour par le tourbillon de préparatifs pour les célébrations et le perdit de vue.

     

    Chapitre 1 - Cache-toi

    Chapitre 1 - Cache-toi

     

           Ses inquiétudes se trouvaient toujours infondées à la fin de la journée. En quelques heures, il avait glané des serviteurs foule de renseignements sur leur hôte, résolu le mystère de la jambe gauche de Lot, effectivement blessée dans un combat féroce impliquant a priori un sanglier de deux mètres de haut quelques années plus tôt, mais n'avait pas eu l'occasion de recroiser son roi avant que le banquet ne commence.

           À la moue d'Arthur, qui luttait pour maintenir un sourire de convenance sur ses lèvres mais dont le front n'était pas plus ridé qu'à l'ordinaire, Merlin déduisit que les derniers préparatifs pour la signature du traité s'étaient déroulés sans encombre. Guenièvre à ses côtés, bien moins habituée que son mari à mimer une attention constante et intéressée plusieurs heures d'affilée, commençait à pencher sérieusement en direction de la tourte fumante abandonnée dans son assiette. Merlin rejoignit George au service du couple royal, salua l'autre serviteur d'un mouvement de tête et se glissa derrière son amie pour lui resservir du vin. La carafe lui échappa des mains un court instant et rebondit contre la table avec un « clong » retentissant. De l'alcool arrosa la main de Guenièvre. Arthur roula des yeux, laissa échapper un commentaire sur l'incompétence de son valet, les chevaliers et Lot rirent grassement et Merlin s'excusa pour la forme. La reine se redressa avec un sursaut et réalisa qu'elle était prête à tomber sans grâce dans sa nourriture. Gwen dévisagea Merlin, resté proche et attentif. Elle épongea sa main sur sa serviette. Ils se sourirent discrètement.

           Arthur attendit que Lot à sa gauche ait terminé son assiette avant de se lever. Le silence l'accompagna. Les têtes se tournèrent vers sa table. Enfin, quand il eut l'attention de chacun de ses sujets, il prit la parole. Il renouvela ses vœux de paix et de bienvenue, vanta les mérites de l'autre roi et termina son intervention par un souhait d'alliance prospère. Il fut chaudement applaudi. Merlin ne put empêcher ses joues de rosir. Il avait écrit toute la fin de ce discours. Le regard que lui adressa Arthur, l'espace d'une seconde, lui fit comprendre que le roi était conscient qu'une partie des applaudissements lui revenait. L'instant ne dura toutefois guère : une silhouette féminine venait de se détacher des musiciens qui jouaient depuis le début du repas. Les conversations se fanèrent. Les regards se dirigèrent vers la jeune femme à la chevelure flamboyante qui venait de se saisir d'un psaltérion.  

           La troupe de ménestrels était bien connue de Merlin. Il les avait recommandés lui-même à Arthur quelques années plus tôt et depuis, les jongleurs, musiciens et poètes étaient conviés par le roi à chaque banquet. Dame Alamande, elle, ne résidait pas à Camelot. Oh, Arthur avait essayé de convaincre la trobairitz de s'établir à la cour. Lui avait probablement offert une position parmi la haute noblesse. En vain. La jeune femme préférait parcourir les terres accompagnée de troubadours et de chevaliers, recueillir les histoires qu'elle rencontrait sur son chemin et payer les seigneurs qui l'hébergeaient en odes et épopées à leur gloire. Avec les années, ses poèmes et sa voix s'étaient faits un nom et ses talents étaient réclamés par plus d'un. Des confrères s'étaient même mis à louer son art, sa voix et sa beauté. Merlin savait que sa présence ce soir-là, à la cour du roi Arthur, aurait de quoi réjouir les nobles et impressionner Lot.

           La convaincre de venir à Camelot spécialement pour les festivités n'avait pas été chose aisée. Mais Merlin pouvait se montrer fin négociateur. Et il n'avait pas oublié la dernière apparition d'Alamande à Camelot, l'effet qu'avait eu son chant sur les chevaliers ni la manière que Dame Dandrane avait eue de la fixer tout le long du banquet. Il se souvenait s'être montré méfiant, prêt à désamorcer ce qu'il avait pris pour une virulente histoire de jalousie, avant de les surprendre dans les cuisines du château la nuit tombée. L'affaire avait été enterrée autour d'un verre de vin, un sourire des deux femmes et la promesse de Merlin de garder le secret. C'était l'une des rares histoires de cuisine qu'il n'avait jamais racontées à Arthur.

                          Chapitre 1 - Cache-toiToast to tomorrow - Blackmore's Night

            Alamande s'inclina en une gracieuse courbette, qui tenait probablement plus de la danse que de l'étiquette, face à la table des souverains. Son regard croisa celui d'Arthur, de Lot, de Gwen puis de Merlin. Il lui sourit et lui rendit son étrange révérence, dissimulé derrière la rangée de fauteuils royaux. Il ne put s'empêcher de risquer un regard vers Dandrane, assise à côté de Perceval. Le visage de la jeune femme brillait de plaisir.

           D'une pierre deux coups, se dit-il, ravi. Une voix dans sa tête qui sonnait étrangement comme Arthur le traita d'entremetteuse un peu trop enthousiaste, mais il l'ignora.

           Les premières notes du psaltérion résonnèrent dans le hall. Les tambours et les flûtes suivirent. Merlin, qui s'était décalé pour ne pas perdre une miette du spectacle tout en surveillant la table royale, ne manqua pas la mimique d'admiration surprise qui traversa le visage de Lot lorsque la voix d'Alamande s'éleva par-dessus la musique. Il n'était pas étonnant que les seigneurs s'arrachent ses talents. Sa voix, profonde et suave, parvenait à accrocher l'attention d'une foule en quelques secondes. La dernière fois, Merlin l'avait même soupçonnée d'être magicienne.

           Le talent de Dame Alamande, avait-il découvert, ne tenait pas seulement à sa maîtrise parfaite de sa voix. Il résidait dans sa capacité à devenir la musique. Son corps chantait. Son corps jouait. Tout dansait. Ses mains aux doigts menus et ronds, ses poignets habiles, ses épaules, l'arrondi de son visage, ses hanches dessinées par une longue robe bleue, ses boucles rousses sautillant en même temps que ses pas. Tout son visage dansait. Entre les taches de rousseur, on pouvait y lire la moindre émotion avec une clarté presque théâtrale. Il y avait des histoires racontées par sa voix autant que par ses yeux verts, ses sourcils, son front, ses lèvres. Dans la chanson, Alamande était une vague. Un océan d'histoires qui s'enchevêtraient, se mêlaient, se jetaient parfois l'une contre l'autre comme la houle en pleine mer. Et soudain, à la voir, à l'entendre, il était impossible de ne pas souhaiter embarquer à son tour. Impossible de ne pas chercher à imiter la valse de sa silhouette, balancer ses propres épaules ou ses hanches, battre la mesure du pied ou des mains. Impossible de résister à l'appel du navire et des flots. 

           Elle parvenait toujours à faire trémousser la cour. Même les serviteurs les plus résistants à la musique, même les soldats les plus frileux à l'idée de se donner en spectacle finissaient par capituler. Même George, l'image même de la rigueur et du sérieux, ne pouvait s'empêcher de dodeliner de la tête après quelques chansons. 

           Le premier à s'abandonner au flot fut Gauvain. Il posa son verre de vin, se mit à frapper des mains, un sourire à déchirer le voile de la nuit sur les lèvres. Il entraîna bientôt avec lui tous les chevaliers. Perceval et Elyan à ses côtés réussirent à convaincre Léon de se livrer à son tour à la musique. Le sénéchal constituait la barrière de convenance des soldats : ce que Léon acceptait représentait bien souvent la norme de l'acceptable. Ce qu'il faisait, la norme du faisable. Ce que Léon refusait, peu s'y risquaient.

           Alors une fois Léon convaincu, la cour suivit. Bientôt, les refrains soutenus par les troubadours le furent aussi par les voix des chevaliers de la table ronde. Le hall résonnait de l'entremêlement de voix, d'applaudissements et de fredons. Alamande se rapprocha des soldats, puis des nobles, prit le temps d'entamer un couplet complet auprès des dames, soutint le regard de Dandrane de longues secondes, revint vers Gauvain qui dirigeait le chœur d'une voix enthousiaste, puis se dirigea vers les rois. Elle s'inclina bas. Ses robes tournoyèrent autour de ses hanches, frôlèrent le bois des tables. Merlin jura pouvoir sentir l'air déplacé par son mouvement parvenir jusqu'à ses mains.

           Elle avait choisi d'ouvrir son spectacle par une chanson d'avenir. Elle chantait pour les lendemains à venir, les réjouissances futures, pour le simple plaisir de laisser le rythme happer les âmes et s'immiscer dans les esprits. Pour la chaleur de la cour, des célébrations, pour l'émulation créée par les centaines de voix qui l'accompagnaient.

           Lorsque Merlin surprit Lot à remuer de la tête en rythme sur le psaltérion, il sut que les faveurs du seigneur leur seraient acquises. Arthur et Gwen, qui battaient la mesure en souriant, remarquèrent à leur tour l'enthousiasme de leur hôte et se détendirent d'un même soupir. Ils échangèrent quelques propos à voix basse, opinèrent de la tête. Même sans entendre le contenu de l'échange, Merlin sut que la noblesse était satisfaite.

           Alamande ne laissa pas la fin de la chanson rompre le charme. Elle fit signe aux musiciens autour d'elle et la musique repartit de plus belle. Les chants cadencés se succédèrent. Les rares soldats qui n'avaient pas osé se joindre à l'enthousiasme général ne purent résister bien longtemps à l'appel du rythme et posèrent leur verre. Merlin surprit George à claquer des doigts de sa main libre et se dit que décidément, le talent d'Alamande était sans égal. Finalement, après quelques morceaux aux sonorités joyeuses et frénétiques qui lui attirèrent à chaque fois une salve d'applaudissements si impressionnante qu'elle faisait vibrer le sol, elle adressa un signe à l'un des troubadours et la musique retomba quelques minutes. Seuls deux joueurs de mandole empêchèrent le monde de basculer dans le silence. La cour partagea un même frisson d'anticipation.

           Commençait le temps des histoires.

    « Mon roi, ma reine, seigneurs, déclara-t-elle solennellement, la première histoire que j'aimerais vous conter ce soir n'est pas celle d'un chevalier ou d'un prince, mais celle de l'un de vos vassaux. J'ai eu l'immense honneur de rencontrer la dame qu'il a aimée et elle m'a confié ses mots pour faire voyager son courage et la largesse de son cœur. » 

           Il y eut des sourires autour des tables. Commencer par une histoire d'amour plutôt que de victoire militaire. Voilà qui n'était pas ordinaire.

                                    Chapitre 1 - Cache-toiChroniques - Really Slow Motion

          Merlin resserra sa prise sur la carafe entre ses mains. Il devait avouer avoir hâte d'entendre le récit d'Alamande. Qui avait-elle rencontré dans ses voyages ? Allait-elle oser chanter de manière dissimulée son amour pour Dandrane ? Était-ce Tristan, le chevalier errant, qu'elle avait écouté louer les mérites d'Iseult et la douleur de sa mort ? Ou bien était-ce un parfait inconnu, une dame qu'il ne pourrait qu'imaginer, qui avait foulé du pied les terres d'Albion sans jamais être connue ? Les musiciens derrière elle se remirent tous à jouer. Cette fois-ci, la caresse des instruments était douce et lente. La voix de la trobairitz s'éleva à nouveau, plus profonde encore.

    J'ai vu un jeune homme longer la rivière
    Menton bas, regard clair, cheveux corbeau  
     Je l'ai vu s'arrêter près du tombeau  
    Que lui seul pouvait voir dans les fougères 
    Sur ses épaules pesaient les mille lois  
    Du pouvoir, du secret et des soldats 

           Les doigts de Merlin se crispèrent contre le métal de la carafe. Il se retrouvait douloureusement dans l'image de cet homme qui avait perdu la femme qu'il aimait. Lui aussi avait parcouru les rives du fleuve, erré jusqu'au sépulcre clandestin qu'il avait érigé à la mémoire de Freya. Lui aussi se sentait écrasé par le poids de sa propre puissance et des mensonges qu'il transportait dans son sillage.  

     Ô Dame, douce dame, douce aimée
    Ton corbeau vient te pleurer

           Il se revoyait aux abords d'Avalon, venu noyer le souvenir douloureux de sa druidesse dans les eaux du lac, la voix serrée. Il se revoyait sangloter la première fois, serrer son corps sans vie dans ses bras, se noyer sous la pluie.   

     J'ai vu un jeune homme fuir sous les bancs d'or
    Sous l'eau sacrée à l'orée des bois
    Il avait bercé du bout des doigts
    La fée anathème au si triste sort
    Qu'il avait aimée en dépit des lois,
    Et abandonnée aux bras de la mort

            Alamande attrapa le regard de Merlin et le soutint.

            Il perdit son souffle.

     Ô Dame, douce dame, douce fée
    Ton corbeau vient te chanter

           L'image de la main de Freya, surgie hors des eaux sombres d'Avalon, s'imposa sous ses yeux. Il y avait sur les lèvres de la trobairitz l'histoire d'une tragédie qui risquait gros et l'ombre d'un sourire triste qui en savait trop. Lorsque sa voix s’éleva à nouveau, elle voyagea jusqu’à son esprit, résonna en lui avec cet écho étrange qu’il n’avait plus ressenti depuis sa dernière entrevue avec les druides.

    J'ai vu un jeune homme entrer dans le lac
    Laisser le limon l'entraîner au loin,
    Loin des terres, loin des siens, des festins
    Sous les capes bleues et calmes du ressac
    J'ai vu la main d'opale d'une fée
    Surgir hors de l'eau pour le retrouver

     Ô Dame, Ô douce Dame du Lac
    Ton corbeau vient t'embrasser

            Les larmes lui montèrent aux yeux, mais il ne put détacher son regard de la jeune femme face à lui, la magicienne, la druidesse, qui avait rencontré celle qu'il avait sauvée et était revenue lui chanter son amour.

            C'était son histoire. C'était leur histoire. Sa fée, sa dame, sa Freya, dans les mots d'Alamande. C'étaient eux, soudain exposés, soudain révélés à la cour, soudain tirés hors de la clandestinité.   

           Freya vivrait, réalisa-t-il soudain. Alamande avait une renommée telle que ses chansons étaient chantées à travers les terres de Camelot et entendues à l'autre bout d'Albion. Freya vivrait. Alamande venait de la rendre éternelle. Son souvenir ne dépendait plus seulement de Merlin et de ses mains emprisonnées par le secret.

            Freya vivrait.

    J'ai vu une jeune femme dressée face à lui,
    Drapée de soie, de magie et de pluie
    Habillée par le soleil et le vent
    Pâle et douce parmi les reflets d'argent,
    Elle tenait entre ses doigts Excalibur
    Épée d'or du Roi Présent et Futur

    Ô Dame, douce dame, douce fée
    Ton corbeau est un sorcier.

           Les applaudissements retentirent soudain et firent sursauter Merlin. Il essuya rapidement les larmes qui avaient roulé sur ses joues et s’assura que personne ne l'ait vu pleurer. Il ne se sentait pas prêt à expliquer à Arthur, Gauvain, Elyan ou n'importe quel autre chevalier pourquoi ce qui avait semblé être une bête chanson d'amour l'avait tant ému. Il aurait été bien incapable de leur faire comprendre à quel point le présent d'Alamande était précieux.

     « Merci, glissa-t-il à la trobairitz dans l'intimité de la langue télépathique.

     — C'est moi qui te remercie, Emrys, répondit sa voix dans son esprit. Le poids du mensonge ne m'est pas inconnu. Comme mon peuple, j'ai toujours eu foi en ta destinée. Mais avant l'année passée, je n'avais jamais eu foi en ton humanité. Tu as protégé mon secret. Je protègerai le tien. Mais je tenais tout de même à te remercier. »

            Il grimaça à l'entente du titre, mais ne protesta pas. Apprendre qu'Alamande était une druidesse allait probablement le tenir éveillé une bonne partie de la nuit.

            Et une fois de plus, la magie se tenait debout, au cœur battant de Camelot, face à son roi ennemi de la sorcellerie.

            Quelle ironie.   

            En jetant un regard à Arthur, il ne put s'empêcher de remarquer que le souverain avait les sourcils froncés. Les derniers vers lui étaient après tout adressés. Merlin pouffa discrètement. Oui, Arthur, s'amusa-t-il intérieurement, c'était de vous dont il était question. Oui, Arthur, vous avez raté quelque chose. Oui, Arthur, ce vassal, vous le connaissez.

            Non, Arthur, jamais vous ne saurez.

           Mais le roi ne demeura pas longtemps suspicieux ou trop curieux. Alamande entama une seconde histoire et aux premières notes, Merlin reconnut l'une des chansons de geste qu'elle avait écrites à sa gloire. Mais l'intéressé, il en était persuadé, n'avait encore jamais entendu cette version, modifiée, développée, enrichie depuis son dernier passage à la cour, qui faisait de Guenièvre l'héroïne d'une fabuleuse aventure. Oh, bien sûr, le roi était peint de ses plus beaux attributs, décrit par la grandeur de son courage et son talent au combat, loué tant pour son amour pour sa reine que pour ses capacités de dirigeant. Mais cette version de la chanson faisait de Guenièvre une dame extraordinaire, à la mesure de l'homme légendaire qu'elle avait épousé.

            Alamande chanta la noblesse de celle qui était née roturière, celle que le peuple appelait parfois la Reine Aimée, celle dont l'amour ne connaissait ni limite ni restrictions. Celle qui avait vécu la tragédie de succomber à un ancien amant sous le regard de son fiancé, celle qui avait été exilée, torturée, ensorcelée, mais avait été la première à se saisir de l'épée pour reprendre Camelot aux mains de Morgane lorsque la sorcière s'en était emparée. Celle qui s'était repentie, celle qui avait été pardonnée. Celle qui avait appris à son peuple, à son roi, à son ami, le pouvoir de la rédemption et du pardon.

            À son arrivée à Camelot, Guenièvre avait été la première à tendre la main à Merlin. La première à le convaincre de rester. Peut-être même, s'il osait l'avouer, la première femme qu'il avait aimée. Aujourd'hui, elle était surtout l'amie qui l'avait épaulé, consolé, soigné, protégé. Celle qui faisait de Camelot une terre digne d'être protégée, d'Arthur un roi digne de régner.

            Celle qui jamais ne saurait que Merlin avait passé plusieurs heures, camouflé dans le secret des cuisines, enivré par un verre de vin et la chaleur des secrets avoués, à nourrir Alamande et Dandrane de son histoire. À leur raconter ses aventures, louer sa bravoure, son courage et sa dévotion.

            Lorsqu'il comprit le tournant que prenait la chanson, Arthur joignit ses doigts à ceux de sa femme, restés crispés sur la table. Guenièvre était toute aussi surprise que lui. Il était infiniment plus rare à la cour qu'une dame soit louée autrement que comme faire-valoir amoureux d'un brave héros ou d'un chevalier. Mais Gwen méritait les louanges, elle méritait l'histoire que contait Alamande de sa voix profonde, méritait que le peuple sache qu'elle avait sauvé un bataillon complet de chevaliers d'une Lamie, qu'elle avait vaincu Helios et Morgane aux côtés d'Arthur. Elle méritait que la cour entende l'étendue de sa loyauté pour son roi, son peuple et sa cité. Elle méritait que Lot sache à qui il se frottait.

            Et l'admiration avait remplacé l'étonnement sur le visage de l'autre roi.

            Lorsque la voix d'Alamande retomba, les applaudissements tonnèrent si fort dans le hall que le métal de la carafe que Merlin tenait toujours contre lui vibra. Le premier « Longue vie à la reine ! » surgit de la table des chevaliers et fut bientôt reprit à la volée par soldats, serviteurs et seigneurs. Certains courtisans de Lot se joignirent même à l'appel.

            Arthur ne put s'empêcher de se pencher vers Guenièvre et de déposer un baiser sur sa joue. Elle sourit timidement à son époux et remercia la trobairitz d'un mouvement de tête.

            Alamande reprit le contrôle de la foule, entonna plusieurs autres chansons à la gloire du roi, d'Albion, de ses chevaliers et de ses gens, puis s'inclina. Le banquet se termina.

            Merlin n'autorisa le soupir de soulagement à franchir la barrière de ses lèvres qu'une fois le couple royal raccompagné en sécurité dans ses appartements, le hall nettoyé et le silence de la nuit tombé autour de lui dans l'antichambre.

     

    Chapitre 1 - Cache-toi

    Chapitre 1 - Cache-toi

     

            Les deux jours suivants se déroulèrent sans encombre, à tel point que Merlin se demanda s'il avait vraiment fini par tomber dans la paranoïa. Le traité de paix avait été amendé et signé, Lot semblait tout aussi ravi qu'Arthur, personne n'avait tenté de tuer quiconque et rien n'avait explosé. Mis à part un léger incident comprenant un faisan mal plumé, une tache de confiture sur la couronne royale et une affaire de bijou tombé dans le puits, rien n'avait dérapé. En somme, tout était parfait.

            Alors, bien évidemment, il fallut que tout tourne au vinaigre.

            La nuit s'était enroulée depuis quelques minutes autour du château lorsque l'on vint tambouriner à la porte du roi. Merlin, assis sous l'alcôve de la fenêtre, luth en main, s'arrêta net. Guenièvre et Arthur se redressèrent du lit où ils s'étaient affalés, prêts à laisser le sommeil les emporter. La panique les prit d'un même souffle. En soirée, les gardes avaient pour ordre de ne laisser entrer personne après les premières notes du luth. Jamais quiconque n’avait osé outrepasser cette règle.

     « Entrez, marmonna le roi d'une voix pâteuse. »

            Léon apparut à la porte. Son regard résigné termina de tirer les trois amis hors de la douce ambiance musicale dans laquelle ils s'étaient plongés.

     « Une servante de Lot a été vue en train de faire de la magie, Sire. Elle a été conduite aux cachots et attend votre jugement. »

            Le silence tomba. Merlin serra les dents. Pourquoi le destin s'acharnait-il autant ? Pourquoi chaque nouvel espoir qui gonflait son cœur se devait-il d'être piétiné ? Pourquoi les sorciers ne pouvaient-ils jamais se tenir tranquilles et se sentaient obligés de venir à Camelot, là où ils étaient exécutés ? Pourquoi tout devait-il constamment mal tourner ?  

     « J'arrive immédiatement. Faites-la monter en salle du conseil. »

            Léon hocha la tête et disparut. Arthur laissa échapper un soupir à fendre l'âme, se passa une main sur le visage et attrapa sa lourde veste de cuir. Merlin aida Guenièvre à se rhabiller et tous deux talonnèrent le roi à travers les couloirs.

     

    Chapitre 1 - Cache-toi

    Chapitre 1 - Cache-toi

     

           De nuit, la salle du conseil était presque plus impressionnante que la salle du trône, éclairée seulement par une dizaine de baies croisées, bien loin de l'ostentatoire lumière des fenêtres géminées du grand hall. Les vitraux, traversés par un filet de lune, transportaient sur les dalles sombres du sol un filament de rouge et d'or qui serpentait sous les bottes des gardes. La grande table de bois avait été repoussée sur le côté. Seuls siégeaient les trônes en chêne massif, vides, dos aux châssis.

            Arthur et Guenièvre s'y assirent. Merlin disparut derrière eux, dans les ombres. Il alluma quelques candélabres. La cour entra. Certains chevaliers avaient l'air d'avoir déjà bien entamé la nuit, d'autres de venir tout droit du Soleil Levant, la taverne de la ville, et certains conseillers n'en menaient pas plus large. Geoffroy, le vieil archiviste, avait lui aussi trainé ses robes poussiéreuses hors des bibliothèques. Seul Lot et sa cour demeuraient absents, probablement bienheureux et ignorants dans leurs appartements.

    « Faites-la entrer, ordonna Arthur. »

            Les grandes portes s'ouvrirent sur deux gardes qui tenaient à bras-le-corps une vieille femme au tablier couvert de taches. Ses cheveux blancs s'échappaient en tous sens de son chignon, les larmes trempaient ses joues et son visage était peint d'une terreur sans pareille. Merlin reconnut l'une des domestiques de Lot à qui il avait fait visiter les quartiers du personnel quelques jours plus tôt. Elle ne lui avait alors pas semblé plus dangereuse que ses consœurs, tout aussi discrète et efficace. Il n'était même pas sûr de connaître son nom ni d'avoir déjà entendu sa voix.

            Aux pieds du roi, la servante tremblait.

            Le prix à payer pour l'usage de la magie à Camelot était clair. Merlin savait aussi bien qu'elle, aussi bien que le conseil, aussi bien que chaque âme dans la salle, que cela n'était plus qu'une question de minutes avant que le souverain n'ordonne de dresser le bûcher. Si cela avait été Uther, assis sur le trône de bois, le feu aurait probablement déjà été allumé.

     « Comment t'appelles-tu ? demanda Arthur.

     — M-M-Ma-Magaidh, seigneur, baragouina-t-elle.

     — Il m'a été rapporté que tu as été surprise à faire de la magie. Qu'as-tu à répondre à ces accusations ? »

           La vieille femme bredouilla une réponse inintelligible. Résolument, elle ne s'attendait pas à avoir la possibilité de se défendre. Merlin serra les dents. Arthur n'était pas son père. Il n'aurait jamais condamné une inconnue au bûcher sans tenter auparavant de comprendre les raisons de son geste. Il était même prêt à parier que si elle lui en avait laissé l'occasion plutôt que de tenter à tout prix de lui voler sa couronne, il aurait été capable d'écouter Morgane. De la comprendre ou de la pardonner, cela était une autre affaire. Mais l'écouter ? Il en aurait mis sa main à couper. Arthur n'était pas son père.

     « Eh bien ? insista le roi. As-tu, oui ou non, pratiqué la magie au sein du château ? 

     — Ou-oui, oui, votre Majesté, j'ai fait de la magie. »

            La salle se tendit. L'aveu condamnait la vieille femme. Des regards interloqués furent échangés. Pourquoi n'avait-elle pas tenté de démentir ? Renier l'accusation ? Peut-être aurait-elle encore pu se tirer d'affaire !

     « Mais je, je, je ne voulais pas... Je ne pensais pas à mal, seigneur. Je voulais simplement aider les domestiques, je n'aurais jamais blessé quiconque ! »

            Arthur fronça les sourcils. À sa droite, Guenièvre partageait sa moue interloquée. Tous deux s'attendaient clairement à entendre une déclaration de guerre et semblaient sincèrement décontenancés par la tournure que prenaient ces aveux.

     « Qu'as-tu fait exactement ? questionna le roi.

     — Je... Les briques ne chauffaient pas assez vite, seigneur, et l'hiver est rude, et, et, et, et je ne voulais pas que ma maîtresse ait froid au milieu de la nuit, alors je-je j'ai sorti la brique du feu et je l'ai chauffée par magie. »

     Les sourcils d'Arthur disparurent sous ses mèches blondes.

     « Tu as utilisé ta magie pour chauffer une brique ?

     — Oui, seigneur.

     — Pour la mettre dans le lit de ta maîtresse ?

     — Oui, seigneur. 

     — N'es-tu pas au courant que l'usage de la magie est formellement interdit à Camelot ?

     — S-si, seigneur.

     — Alors pourquoi diable as-tu chauffé cette brique par magie ? »

            Le manque de sommeil et l'exaspération se firent clairement entendre dans la voix du souverain. La salle se tendit à nouveau. Un roi agacé était un roi peu patient. Et un roi peu patient, volontiers intransigeant.  

     « Je... Les briques ne restent pas chaudes très longtemps lorsqu'elles sont chauffées dans les flammes, expliqua la vieille femme d'une voix chevrotante. Avec la magie, la chaleur tient toute la nuit. Je ne pensais... Je ne pensais qu'au bien-être de ma maîtresse. »  

            Merlin dévisagea Arthur à la dérobée. Pour une fois, il n'avait aucune idée de comment l'autre homme allait réagir. Il n'avait encore jamais été confronté en tant que roi à pareille situation. Les sorciers qui avaient croisé sa route avaient tous été particulièrement violents et il n'avait eu d'autre choix que de recourir à son tour à des solutions brutales pour protéger la cité. Mais face à lui, la vieille servante ne dégageait pas une once de velléité ou d'animosité. Elle venait d'une terre qui acceptait la magie, se rappela Merlin. Chauffer les briques par sortilège était probablement un réflexe pour elle autant que cela l'était pour lui. À la différence près, susurra son esprit, que personne ne l'avait encore surpris, lui...

            Il n'eut toutefois pas le loisir de réfléchir plus longuement à la question. L'instant suivant, les grandes portes s'ouvraient dans un claquement sonore et le roi Lot débarquait, furibond, dans la salle du conseil.

     « Arthur Pendragon, tonna-t-il, traître à ta parole ! »

           La foule s'écarta d'un même mouvement pour laisser passer l'homme. Ses capes fouettèrent les dalles. Merlin se corrigea mentalement. Lot n'était ni un coq, ni un paon. C'était un aigle. Et le rapace, fixé sur Arthur, ne voyait plus que sa proie.

           Merlin fit un pas de côté. Sortit des ombres et s’assura de garder l’homme et ses mains en vue.

     « Je te défie selon le code des chevaliers ! »

           La cour eut à peine le temps de reprendre son souffle que le roi avait jeté son gantelet au sol.

            Aux pieds d'Arthur.

     « Jusqu'à la mort. »

     

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