• Prologue

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    Prologue

    Publié le 25/12/2019
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    Prologue

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           Le jour de sa naissance, racontait sa mère, un oiseau chantait à la fenêtre. Ni l'agitation du médecin, ni les cris des femmes du village en découvrant le nourrisson étrangement poilu n'avaient pu le déloger. L'oiseau avait chanté toute la journée.

           L'enfant, subjugué, l'avait écouté, sage et chaud contre le sein de sa mère. Les dieux, disait-elle, l'avaient accueilli en musique, avaient envoyé comme dans l'Ancien Temps un aède pour célébrer sa venue. Hunith avait à son tour écouté l'oiseau, admiré le reflet du soleil sur ses plumes de jais et souri lorsque son regard s'était posé sur le petit garçon aux cheveux sombres serré contre sa poitrine.

           Au creux de ses bras, le bébé avait gazouillé à son tour.

           Le merle noir s'était envolé à la tombée de la nuit. Mais son empreinte mélodique n'avait jamais quitté Merlin. À six mois, il babillait par-dessus les comptines de sa mère. À huit, il les fredonnait. À un an, il les chantonnait. Hunith, attendrie, s'était résolue à lui transmettre toutes les chansons qu'elle connaissait, puis à en inventer de nouvelles. Elle lui avait appris à lire en recopiant avec lui les paroles de ses ballades préférées. Il avait appris à jouer seul, à la seule force de l'écoute et de l'imitation, créait ses instruments à partir de bouts de bois évidés avec minutie. À dix ans, il avait fabriqué sa première lyre. Les villageois, charmés à leur tour par le garçon aux grands yeux bleus et au sourire contagieux qui chantonnait en travaillant la terre, avaient oublié les circonstances inquiétantes de sa naissance. Bientôt, il ne fut plus l'étrange enfant d'Hunith, né avec une fourrure noire qui avait disparu d'elle-même après quelques jours, mais le jeune garçon maladroit aux oreilles décollées qui taillait des instruments dans les roseaux et ne manquait jamais une occasion de s'intégrer aux dernières bêtises en date des jeunes du village.

           Merlin ne se souvenait pas de l'oiseau. Il ne se souvenait pas de son chant. Comment aurait-il pu, jeté depuis quelques heures seulement dans le monde ? Il se souvenait de sa première lyre, de ses premiers accords dissonants, de la grimace involontaire de sa mère et de ses encouragements. Mais il écoutait les merles avec une attention toute particulière, autrement que les moineaux, les pigeons, les mésanges, les corbeaux ou les rossignols qui se pavanaient sur les chaumières et l'accompagnaient dans les bois. Il y avait quelque chose dans le chant d'un merle, même après des années passées loin de son village natal, quelque chose qui lui rappelait l’étreinte de sa mère, l'odeur d'Ealdor, quelque chose qui lui donnait envie de fermer les yeux, plonger ses mains dans la terre et laisser sa magie irriguer le sol, parcourir le monde et caresser cette minuscule empreinte de vie qui chantait pourtant si fort.

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           À Camelot, Merlin n'avait jamais vraiment abandonné la musique. Tout comme il ne pouvait renoncer entièrement à sa magie, la musique vivait en lui, à la distinction-près que personne ne se serait mis à lui courir après en réclamant sa tête s'il avait été surpris à chantonner dans les couloirs. Pourtant, il n'avait que rarement avoué être musicien. Gaius savait, même s'il le châtiait souvent lorsqu'il se mettait à fredonner en l'aidant à préparer des remèdes ou faire sécher des herbes. Guenièvre aussi avait su, à l'époque où ils travaillaient encore tous deux au service de la famille royale, elle au service de Morgane et lui au service d'Arthur, et passaient le plus clair de leurs journées ensemble. Elle avait été la première à accepter entièrement sa voix, à chantonner avec lui parfois, et à l'encourager en sifflotant.

           Arthur avait su, aussi, évidemment. Il avait ricané lorsqu'il l'avait surpris à fredonner la première fois, à quatre pattes par terre et occupé à frotter énergiquement les dalles de ses appartements.

    « Si j'avais su que t'ordonner de récurer le sol te rendrait si heureux, Merlin, je l'aurais fait bien avant ! »

           Merlin avait répliqué, cinglant, qu'il chantait pour tenter d'oublier qu'il était au service d'un crétin pompeux et arrogant qui n'était même pas capable d'enfiler ses propres chemises. Arthur avait ri, saisi l'opportunité de prouver à son valet à quel point il était un seigneur bon et magnanime en lui lançant sa veste sur la tête et Merlin l'avait suivi dans le jeu. L'altercation, toutefois, lui avait servi de leçon. Il lui avait fallu deux ans avant d'oser à nouveau siffloter puis chantonner devant Arthur et trois autres années avant de dévoiler son instrument au prince.

           Le luth avait appartenu à Gaius. Ou peut-être à l'un de ses patients. Peut-être à l'un de ceux qui étaient morts dans ses draps et avaient abandonné derrière-eux biens et richesses, peut-être à un simple passant distrait qui l'avait oublié et n'était jamais venu le réclamer. Il faisait partie de ces nombreux objets qui traînaient dans les appartements du médecin, oubliés à la vue de tous, noyés dans la masse de matériel médical, d'herbes et de bibelots, probablement relique d'une histoire déchirante ou souvenir d'une époque meilleure. Merlin aimait penser qu'il avait appartenu à un barde itinérant, soigné par les mains habiles du vieil homme, qui avait alors choisi de lui offrir l'instrument en remerciement. Gaius ne savait plus. Pour lui, le luth avait toujours plus ou moins été là. Merlin n'avait pas insisté. Ne pas connaître sa véritable histoire lui laissait après tout le loisir de l'inventer.

           Il avait sauvé le luth de la poussière quelques semaines à peine après son arrivée à Camelot. Lui non plus ne se souvenait plus exactement de ce qu'il cherchait. Il se revoyait simplement crapahuter sur la mezzanine, des livres dans les bras, en équilibre précaire sur un tabouret, à la recherche d’un énième parchemin avec pour seul indice un geste vague du médecin en direction de l’angle de la pièce. Bien évidemment, quelques minutes plus tard, il avait basculé en arrière, emportant avec lui toute la rangée de manuscrits triés et classés sur l'étagère. Le tabouret, enhardi par le brusque retournement de situation et se découvrant soudain projeté par les talons de Merlin, était allé se fracasser joyeusement contre le plafond. Les étagères restantes avaient décidé de se joindre à la fête et s'étaient vidées à leur tour de leur contenu.

           Lorsqu'il avait relevé les yeux, penaud au milieu d’une mer de livres ouverts et de bibelots divers, l'instrument lui était tombé sur la tête.

           Ainsi avait débuté la grande histoire de Merlin et du luth.

     

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           Les premiers mois, Gaius avait pesté, dérangé dans son étude, sa lecture, ses recherches. Alors Merlin s'était isolé dans sa chambre, en haut du petit escalier, trop heureux d'avoir trouvé un instrument pour s'offusquer. À Ealdor, jamais il n'aurait eu accès à un objet aussi finement réalisé. Le luth, quelle que fût réellement son histoire, était un objet de luxe et cela se sentait. Les cordes, une fois changées et réaccordées, étaient devenues solides et souples, le bois de la table brillait comme s'il sortait des mains de l'artisan et les fines gravures de la rosace étaient impeccables. Jamais Merlin n'avait eu entre les mains un objet au son si pur, si propre, si cristallin.

           Tous les soirs, une petite heure avant de s'endormir, il jouait des mélodies lentes et apaisantes qui parvenaient à tirer hors de sa peau toute la tension qu'une journée de travail au service d'Arthur avait pu y glisser. Là où il retenait sa magie, apprenait à la contrôler, à l'empêcher d'agir instinctivement, il laissait son cœur s'épancher dans la musique. Il chantait à voix basse les aventures de sa journée, fermait les yeux et se laissait porter par la danse des mots et des notes.

           Le luth était devenu un compagnon. L'ami auquel il pouvait enfin tout dire sans craindre le pilori ou le bûcher. Il lui avait chanté toutes ses joies, toutes ses frustrations, tous ses exploits secrets, tous ses espoirs de voir un jour venir un temps où la magie serait acceptée et où il pourrait vivre, dévoilé, libre. Il lui avait chanté ses faiblesses, ses peurs, ses doutes et ses prouesses. Il avait chanté pour ceux qu'il aimait comme pour ceux qu'il avait perdus.

           À la mort de Will, Merlin n'avait pas pu chanter. Il s'était contenté, une fois rentré à Camelot, de jouer la même mélodie encore et encore, une de celles qui avaient bercé leur enfance, celle que Will sifflotait avec lui en battant la terre, celle qu'ils hurlaient à plein poumons dans les champs. Il avait fallu à Gaius plusieurs heures avant d'oser toquer doucement à la porte de sa chambre. Merlin l'avait laissé retirer gentiment le luth de ses mains. Gaius n'avait rien dit. Il s'était contenté de le laisser étouffer les larmes qui mordaient sa voix contre son épaule, le luth abandonné sur le lit.

           Merlin avait appris ce jour-là qu'il y avait des douleurs que la musique ne soignerait pas. Des chagrins qu'il ne pourrait jamais apaiser et qui demeureraient hors de sa portée, condamnés à hanter son cœur sans pouvoir calmer sa voix.

           Le visage enfoui dans les robes de Gaius, du sel jusque sur les doigts, Merlin s’était résigné. Will n’était plus, et magie comme musique ne triompheraient pas.

           Pas contre le roi.  

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           Il avait écrit sa première élégie pour Freya. Cette fois-là, il avait refusé de laisser les larmes faire taire sa voix. Il voulait que Freya vive. Il voulait que Freya vive, même seulement sous ses doigts. Il avait chanté toute la nuit, chanté pour cette femme au destin injuste pour qui il aurait tout abandonné. Il avait chanté parce qu'il l'avait aimée, comme on aime les premières fois, sans peur, sans réserve, sans limite. Il avait chanté parce qu'à ses côtés, il s'était imaginé un avenir. Elle avait été son premier espoir d'une vie autre, teintée de bonheur plutôt que de la terreur constante d'être conduit au bûcher pour une magie qu'il n'avait pas choisie.

           Elle était morte dans ses bras, sous la pluie, face au lac, un sourire accroché aux lèvres. Heureuse d'avoir pu goûter ne serait-ce qu'un instant à la tendresse qu'on lui avait toujours refusée.

           Et Merlin voulait qu'elle vive. Alors il avait écrit, écrit, écrit, écrit et chanté jusqu'à ce que les mots et les sons ne fassent plus aucun sens. Il avait chanté comme les seigneurs chantaient leur dame, avait loué sa magie, sa beauté, sa bonté, avait dévoilé à la musique l'ampleur de son amour et de son désespoir. Les dernières heures, le luth suintait et ses doigts glissaient, s'éraflaient contre les cordes. Sur sa main droite, là où le poignet avait frotté contre la table et cogné contre le chevalet des heures durant, s’était creusée une cicatrice fine, blanche, horizontale. Comme la ligne d'horizon du lac sous la brume, se disait-il.

           L'élégie de Freya avait été le premier texte qu'il avait osé recopier à l'encre. Il l'avait calligraphié soigneusement au dos d'un vieux morceau de parchemin, d'une écriture timide et serrée qui semblait craindre elle-même d'être découverte. Il avait glissé le papier dans le livre de magie qu'il gardait, sagement dissimulé, sous son lit. Souvent, lorsqu'il pensait à elle, qu'ils étaient passés en patrouille à cheval près d'Avalon, ou que se rapprochait la période de l'année où il entretenait son souvenir, il sortait le parchemin de sa cachette et chantait à sa mémoire. Il honorait sa dame, sa vaillance, sa douceur, sa détresse. Il repensait à son sourire, à la chaleur de sa peau, à celle de ses mots. Il repensait au lac, à la brume, à la pluie. Il chantait et, l'espace d'une chanson, la Dame du Lac vivait.

     

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           Avec les années, contrôler et tenir sa magie secrète s'était révélé de plus en plus simple. Comme par effet d'écho ironique, garder la musique discrète, en revanche, devenait de plus en plus ardu. Arthur avait découvert le luth par hasard, un soir où il avait débarqué en furie dans les appartements de Gaius à la recherche de son valet incompétent et fainéant, et Gaius, s'il est encore à la taverne je vais vraiment finir par décorer les murs avec sa tête, mais s'était immobilisé en découvrant Merlin assis à la fenêtre, l'instrument sur les genoux, un pli de concentration au milieu du front et incapable de terminer la ballade dans laquelle il s'était lancé la veille.

     « Merlin ! Qu'est-ce que tu fabriques ? Mon armure ne va pas se polir toute seule ! »

           Elle aurait pu, avait pensé Merlin, si Uther ne vous avait pas convaincu que la sorcellerie n'était bonne qu'à brûler sur un bûcher. Mais le prince avait continué :

    « Si tu tiens vraiment à faire ta dame énamourée, ramène ton machin, mais j'ai absolument besoin de mon armure cérémoniale pour l'adoubement demain matin ! Je te rappelle que tu étais censé préparer mes vêtements et mon bain avant le repas, pas filer en douce dès que j'ai eu le dos tourné ! »

           Et Merlin, incapable de s'en empêcher, avait souri, pris le luth avec lui et disparu à la suite du prince.

           Bien évidemment, Arthur ne l'avait pas laissé y toucher avant d'être immergé depuis un bon quart de chandelle dans l'eau chaude et le savon. Merlin, qui avait posé l'instrument dans un recoin de la pièce le temps de polir l'épée cérémonielle, avait relevé la tête lorsque sa voix s'était élevée entre eux.

    « D’ailleurs, depuis quand tu sais jouer de la mandole, toi ?

     — Je suis un homme de multiples talents, vous n'êtes juste pas très doué pour le remarquer.

     — Merlin. C'est Gaius qui t'a appris ?

     — J'ai appris seul, avait-il avoué, mais elle était à lui, oui.

     — Il te l'a donnée ?

     — Disons plutôt que je me la suis appropriée. »

           Arthur avait pouffé. Puis, d'un mouvement de tête, il avait invité son valet à se saisir de l'instrument. Merlin, pour une fois, avait obéi sagement et saisi le luth de ses doigts tremblants. Arthur le regardait, un air de franche curiosité dissimulé sous une mimique moqueuse. Mais Merlin savait lire son prince aussi bien que la musique. Ces fausses railleries ne lui faisaient plus peur depuis longtemps.

           Il avait alors fermé les yeux un instant. Cherché son courage avec la mélodie. Il avait tant chanté ses exploits, tant loué ses prouesses, dans l'intimité de ses quartiers, qu'il ne savait soudain plus quoi jouer. Que chanter ? Que faire ? Que dire au héros de vos récits lorsque, soudain, il vous écoute ?

     

                                 Prologue|     The Kid on the Mountain - Ronn McFarlane

     

           Timidement, il entama l'air d'un petit rondeau composé quelques années plus tôt, qu'il affectionnait particulièrement et avait écrit en pensant à son voyage jusqu'à Camelot. Au son de l'eau clapotant contre les parois de la bassine, il rouvrit les yeux. La mimique moqueuse avait disparu des traits du prince, remplacée par un air de surprise et d'admiration. Merlin ne s'interrompit pas. Il soutint quelques instants le regard bleu assombri par la pénombre, puis laissa la musique l'emporter. Arthur suivit le mouvement. Son corps s'affaissa dans l'eau et Merlin put voir ses muscles débander puis se relâcher complètement. Ses cheveux blonds, rendus mordorés par la lumière des chandelles, tombèrent contre le rebord. Arthur ferma les yeux. Merlin inspira profondément, laissa les effluves de savon, d'aromates et d'huile de polissage pénétrer ses sens. Il n'avait plus vu Arthur se détendre ainsi depuis la trahison de Morgane.

           S'il n'était alors pas encore roi, Arthur avait pourtant déjà endossé la position de souverain. Uther ne parlait presque plus, mangeait à peine, passait ses journées retranché dans ses quartiers, le regard perdu à l'extérieur, un air hanté au fond des yeux. Il ne tenait à la vie qu'accroché par un fil de lin et grâce aux bons soins de ses serviteurs. Parmi eux, Guenièvre s'était portée volontaire pour s'occuper de lui et l'admiration de Merlin pour la jeune femme n'avait alors fait qu'augmenter. Son amie avait perdu son père des mains d'Uther. Merlin aurait été le premier à comprendre qu'elle cherche à fuir sa présence. Lui-même avait passé des années à éviter de se retrouver seul à seul avec le roi. Au lieu de quoi, elle passait le plus clair de ses journées à s'occuper du vieux souverain et dédiait des soirées entières à essayer de le convaincre de manger ou accepter de discuter avec Arthur. En vain.

           Les chevaliers, unanimement, avaient décidé de ne plus aborder la santé d'Uther auprès de son fils. Le roi n'était déjà plus, ils le savaient. Le conseil le savait. Merlin le savait. Arthur le savait aussi, malgré ses grands discours d'espoir et sa volonté d'inclure son père dans la moindre discussion. Le royaume savait. Tous savaient sans oser le dire : le règne d'Uther touchait à sa fin. Cela n’était plus qu’une question de semaines, de jours peut-être, avant qu’il ne sombre d'un côté ou de l'autre du fil sur lequel il tanguait. Folie ou désespoir, une chose était certaine ; le roi n'était plus.

           Merlin laissa le rondeau tourner trois fois, ému par le silence qu’il venait de créer, incapable de se résigner à sortir Arthur de l'état de bien-être dans lequel l'eau chaude et la musique l'avaient plongé. Lorsque le soleil disparut pour de bon derrière les fenêtres et laissa place aux robes noires de la nuit, il s'interrompit. Il posa le luth, rangea le matériel de polissage, prépara les vêtements du prince régent pour le lendemain, chargea l'armure dans ses bras, puis s'éclipsa discrètement.

           Ce fut seulement une fois rentré dans les appartements de Gaius, couché dans sa paillasse et tourné vers les étoiles, qu'il réalisa qu'il avait oublié le luth dans la chambre d'Arthur.

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           De cette soirée naquit une habitude. Une fois par semaine, le soir, ses tâches de la journée terminées, Merlin restait quelques temps aux côtés d'Arthur et jouait en silence. Parfois, lorsqu'il sentait le prince fatigué, écrasé par le poids d'une couronne qu'il n'avait pas encore officiellement acceptée, il venait de lui-même, sans être convié, et jouait jusqu'à ce que le sommeil fasse disparaître le pli d'inquiétude qui avait élu domicile sur le front de son ami. S'il était quelque fois resté longtemps après qu'Arthur se soit endormi, simplement pour admirer les reflets de la lune sur le visage du futur roi ou pour terminer un morceau en douceur, le prince ne l'avait jamais su.

           Merlin ne vint pas le soir de la mort de Lancelot.

           Il demeura toute la nuit à la fenêtre de sa chambre et laissa les sanglots remplacer le chant. Gaius, probablement par peur de commettre un impair ou de blesser davantage le sorcier brisé qui lui était revenu le cœur ensanglanté, n’osa même pas toquer à la porte verrouillée.

           La veille de l'anniversaire d'Arthur, Merlin ne vint pas, trop épuisé par les préparatifs. Il tomba sur sa paillasse et s'endormit avant d'avoir eu l’idée de toucher au luth. Le lendemain, l'assassin envoyé par Odin blessait mortellement Uther et sa vie basculait à nouveau dans l'espoir fou, puis la désillusion et la misère. Le soir de la mort du roi, Merlin ne joua pas. Il passa la nuit assis derrière la porte de la salle du trône, seul, incapable de fermer les yeux. La culpabilité rongeait ses os. Au matin, lorsqu'Arthur poussa les grands huis, il laissait derrière lui le corps de son père. Il était roi. La couronne tomba pour de bon sur ses épaules et Merlin oublia qu'ils avaient un jour partagé la musique.

           L'habitude se perdit. Merlin se remit à passer ses soirées seul avec le luth dans ses appartements, puis, avec la naissance d'Aithusa, dans la forêt autour du château. Il découvrit par hasard que le bébé dragon était aussi mélomane que lui et se résolut à s'attirer le plus de glapissements ravis possible lors de leurs entrevues hebdomadaires. Parfois, il oubliait même qu'il avait joué pour Arthur, tant la dragonne était un public enthousiaste. Kilgharrah, qu'il avait chargé de garder un œil sur elle, avait roulé des yeux lorsqu'il avait découvert que Merlin utilisait ses pouvoirs de Seigneur des Dragons pour l'encourager à se trémousser sur la musique. Il avait murmuré dans ses écailles, un de ces commentaires sibyllins dont il avait le secret, puis s'était envolé avant que, pensait-il, Merlin n'ait le temps d'apercevoir la lueur d'affection qui germait dans ses yeux d'ambre. Avec les semaines, puis les mois, Merlin s'était résolu à n'avoir pour public que les pépiements d'Aithusa, les ronflements de Gaius et le silence de sa chambre.

           Après tout, il avait réussi à survivre à Camelot pendant presque dix ans sans être exécuté pour sorcellerie. Taire un peu sa voix ne pouvait pas être bien plus compliqué. Arthur et la musique, se disait-il, étaient peut-être deux parts de son cœur qui n'étaient pas faites pour se rencontrer.

           Une nouvelle habitude naquit dans la solitude. Il verrouilla au loin son cœur brisé et chanta seul. Parvint à se convaincre que la situation lui convenait.

           Il chanta seul lorsque Guenièvre fut bannie de Camelot.
           Il chanta seul lorsque Lancelot lui fut arraché une seconde fois.
           Il chanta seul lorsqu'Arthur se mit en tête d'épouser Mithian et renonça.
           Il chanta seul et abandonna pour de bon l'idée de partager un jour ses notes.

          Puis vint la grande bataille de Camelot. Le retour de Gwen, la mort du traître Agravain, Excalibur tirée hors du rocher, la défaite de Morgane et le véritable avènement du Roi Arthur. Vint le mariage. Les grandes célébrations, le temps d'Albion.

            Et, enfin, la musique revint à Merlin.

     

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                                                                                                     >> CHAPITRE SUIVANT (I, 1)


  • Commentaires

    1
    Tatildus Magicus
    Jeudi 15 Février à 13:23

    ..................c'est que le prologue et j'ai déjà eu envie de pleurer plusieurs fois. MERCI CHANDEL.

    Les interactions Merlin-Arthur sont tellement 100% canon

    Aussi cet extrait: "Le tabouret, enhardi par le brusque retournement de situation et se découvrant soudain projeté par les talons de Merlin, était allé se fracasser joyeusement contre le plafond. Les étagères restantes avaient décidé de se joindre à la fête et s'étaient vidées à leur tour de leur contenu." me tue, j'adore ta façon d'écrire

    bref, hââââââââââte de lire la suite

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