• Chapitre 6 - 1

    ______________________________________________________________________  Publié le 30/06/2020

     Chapitre 6 - 1         PLAYLISTS       

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    Chapitre 6 - 1

    Chapitre 6 - 1

            

             Le lendemain, Arthur fut réveillé par des coups frappés à la porte de ses appartements. Beaucoup trop tôt, pensa son esprit endormi et bienheureux, prêt à replonger dans les bras de Morphée d'une seconde à l'autre. Il grogna dans l'oreiller, se tourna sur le côté.

    « Meerlin. »

             On toqua à nouveau, plus franchement cette fois-ci.

    « Meeerlin ! »

             Bon sang mais qu'est-ce qu'il fichait, ce matin ? C'était son travail d'être là avant que le roi ne se réveille et de s'occuper pour lui des insupportables visiteurs qui venaient le déranger aux aurores !

             Les doux embruns du sommeil le quittaient progressivement. Il grommela une nouvelle fois. Hors de question d'abandonner si vite l'idée de se rendormir. Il enfonça son visage dans un coussin mais son esprit refusa de le laisser sombrer à nouveau. Quelque chose... Quelque chose n'allait pas.

             On toqua une troisième fois. Il inspira profondément, emplit ses poumons de l'air glacé de ses quartiers, prêt à aboyer pour faire venir son serviteur incompétent.

    « MERL... »

             Son cri se fana. Merlin. Merlin ne viendrait pas. Merlin ne viendrait plus.

             Arthur dégringola hors de son lit. La réalité le frappa à nouveau, violente, intraitable, lui donna l'impression de prendre un coup de masse dans l'estomac et il plaqua par réflexe une main sur son ventre. Camelot, assiégée. Camelot, affaiblie, presque tombée. Camelot défendue par ses alliés. Et Merlin. Merlin, sorcier. Merlin, assassin. Merlin... Merlin fugitif.

             C'était réel. Ce n'était pas un cauchemar.

             Merlin l'avait trahi. Merlin s'était enfui.

             Il attrapa l'une des colonnes du baldaquin pour s'empêcher de tituber. Le montant de bois grinça.

    « Sire ? Tout va bien ? »

             La voix de Gaius lui parvint étouffée par l'épaisseur de la porte. Arthur enfonça ses ongles dans le chêne. Il voulait se rendormir. Immédiatement. Oublier cette douleur déchirante qui pulsait contre ses cottes. Il ne tiendrait pas une journée complète avec une plaie ouverte suintant ainsi. C'était impossible. Impossible sans hurler. Tout le monde allait voir. Tout le monde allait savoir.

             Mais tout le monde savait déjà, grinça son esprit.

             Parce que tout le monde avait su.

             Tout le monde avait vu.

             Et personne ne pourrait lui faire oublier cette incurable déchirure.

    « Je viens m'occuper de vos blessures, Sire, insista le médecin de l'autre côté du battant.

    — Je ne suis pas blessé, rétorqua-t-il suffisamment fort pour que sa voix porte. Je n'ai pas besoin de tes services, Gaius. »

             Il n'y a rien que tu ne puisses traiter, manqua-t-il d'ajouter. Rien que tu ne puisses arranger. Rien qui ne puisse se résorber. Rien d'autre à faire que hurler.

             Le vieil homme garda le silence quelques instants, puis :

    « Puis-je entrer, seigneur ?

    — Non ! cracha-t-il immédiatement. »

             L'exclamation lui avait échappée, mais il ne parvint à regretter ni ses mots ni son ton mordant. Il ne voulait pas voir Gaius. Pas alors que le moindre regard posé sur le médecin allait lui rappeler son pupille.   

    « Je viendrai te voir plus tard, lorsque j'en aurais le temps, ajouta-t-il finalement, pour une fois incapable de culpabiliser d'abuser de sa position. »

             Derrière la porte, Arthur jura entendre un soupir. Pensa un instant que Gaius allait insister. Forcer la confrontation, comme Merlin l'aurait fait, comme Merlin l'avait fait, comme Merlin ne le ferait plus jamais. Il distingua vaguement le cliquetis de fioles s'entrechoquant dans un panier. Ce qui ressembla à un second soupir. Quelques secondes plus tard, le médecin sembla se résoudre et le bruit de ses pas feutrés s'éloigna bientôt loin des appartements du roi.

             Arthur attendit d'être certain que l'homme ne reviendrait pas pour mettre un tour de clé dans sa propre serrure.

    Chapitre 6 - 1

    Chapitre 6 - 1

     

             Il passa les deux heures suivantes assis à la fenêtre ouest, le regard perdu dans les mouvements frénétiques qui agitaient la cour en contrebas, incapable de se résigner à se lever, redevenir roi, rejoindre ses sujets. Son âme tout entière était comme aspirée par les allées et venues des serviteurs, les silhouettes empourprées de ses chevaliers et celles colorées des courtisans qui défilaient sous ses yeux. De ses appartements, derrière les vitraux, le monde semblait lointain. Aussi étrange qu'étranger. Hors du temps, hors d'atteinte. Inaccessible, fondamentalement incompréhensible.

             De derrière les vitraux, plus que jamais, le monde était un théâtre. Mais ce matin-là, Arthur ne savait plus jouer. On avait dérobé son texte, déchiré son costume. Il n'était plus qu'une silhouette spectatrice, une ombre dans un coin de décor, un masque sans porteur, un passager dans la foule. Une marionnette inhabitée, abandonnée, condamnée à attendre que quelqu'un vienne l'empoigner. Que quelqu'un vienne briser la vitre, forcer les deux plans de réalité à s'entrechoquer.  

             Mais personne ne venait.

             Personne ne vint.

             Comment le monde parvenait-il encore à tourner ? Comment ce page parvenait-il encore à harnacher le cheval de son seigneur, cette lavandière transporter son linge ? Comment Amice parvenait-elle à accompagner Dandrane, à lui sourire, lui tenir la porte ? Tyr cirer cette scelle sous le soleil ? Comment ? Comment parvenaient-ils tous à prétendre que rien n'avait changé ? Ne savaient-ils pas ? N'avaient-ils pas entendu ? N'avaient-ils pas vu ?  

             Durant une vingtaine de minutes, il suivit des yeux un groupe de soldats, puis la garde lorsque celle-ci contourna un pan entier du portique dans sa ronde. Des pavés de la cour avaient été brisés lors du second assaut. L'un des boulets enflammés avait atteint la tourelle Est, arrachant des morceaux de gargouilles qui avaient basculé en avant et étaient venus s'exploser sur les dalles. Résultat, le sol n'était plus qu’un terrain bosselé, fait d'éclats de briques à moitié enfoncées ou décollées. Ce n'était qu'une question de temps avant que quelqu'un trébuche et se blesse sur ce champ de protubérances acérées.

             La cour d'honneur n'était pas la seule à être dans un état déplorable. Camelot tout entière fumait encore. Il y avait des trous partout. Dans les murs, dans le sol, sur les marches des grands escaliers de pierre blanche. Mais surtout, des trous immenses, qu'il voyait clairement depuis sa fenêtre, dans le plafond de la salle du trône. Des trous d'éclair, d'orage, des trous de vitraux éclatés par la lumière.

             Et un trou, béant, impossible à combler, au fond de son cœur.

             Arthur laissa son front tomber contre la vitre. Les vitraux étaient froids. Il avait chaud. Se sentait fiévreux. Nauséeux. Aussi effondré que son château.

             Dans la cour, il aperçut soudain la silhouette familière de Léon, sortant de la salle du trône par l'une des entrées creusées par la guerre. L'image l'emplit d'un chagrin qu'il ne parvint pas à expliquer et lui donna l'envie de sermonner son sénéchal. Pourquoi se servir de la porte, après tout, si la violence en avait creusé une plus large ? Pourquoi prendre la peine de faire quelques mètres de plus pour rester fidèle à l'encadrement qui était prévu pour la sortie, quand on pouvait simplement faire irruption dehors à travers un mur défoncé ? Il serra les poings. Ce monde sonnait creux. Ce monde sonnait faux.   

             Léon enjamba une pierre, s'avança de quelques pas dans la cour et releva la tête. Son regard rencontra immédiatement celui d'Arthur. Le souverain s'immobilisa. Son sénéchal cherchait ses yeux.

             Le roi hésita un instant, puis se résigna, ouvrit la fenêtre et fit signe à Léon de monter le rejoindre. Il ne pouvait pas se permettre de rester plus longtemps isolé dans ses appartements, coupé du monde et de l'atroce réalité qui allait devenir son quotidien.

             Cela ne mènerait à rien, de se morfondre sur un passé qui ne reviendrait pas. Un passé qui, de toute manière, n'était que mensonge. Ce présent n'était qu'un adversaire de plus, un ennemi à vaincre ou à convaincre.

             Il devait l'affronter.

             Alors, comme toujours, Arthur se releva, empoigna Excalibur et partit au combat.

    Chapitre 6 - 1

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             Contre toute attente, la matinée se termina sans accroc. Les membres du conseil furent étonnement diplomates et aucun d'entre eux n'osa ne serait-ce que suggérer à Arthur que la magie avait sauvé la cité ou que son valet était un sorcier. L'absence de Gaius, raisonna Arthur, avait probablement grandement joué. Il surprit plusieurs fois le regard inquiet de Léon qui le fixait à travers l'assemblée, crut apercevoir à trois reprises Perceval mettre un coup de coude à Gauvain sous la table, mais aucun de ses chevaliers ne prit la parole autrement que pour répondre à ses questions sur l'état de leurs ressources et il n'insista pas. Quoi que ses hommes pensent de la trahison de Merlin, personne n'osa en dire le moindre mot. Tous demeurèrent davantage préoccupés par la liste grandissante de tâches à accomplir. La fin du siège avait déversé sur Camelot un torrent de problèmes et Arthur, parfaitement conscient que ses décisions actuelles allaient déterminer la situation des dix années à venir ainsi que la réputation du royaume bien au-delà des frontières de ses alliés, se plongea dans le travail.

             Mais malgré tout, il ne parvenait pas à faire fuir Merlin de son esprit. Ni à chasser la petite voix au fond de lui qui lui susurrait mensonges, Merlin, mensonges, à chaque mention de serviteur, de loyauté ou d'amitié.

             Ses mots lui revenaient constamment. Sa voix tremblante, pleine de magie et de puissance. Son regard bleu dévoré par les flammes, noyé sous les larmes. Sa silhouette anguleuse, quelques secondes avant d'être avalée par la lumière.

             Dieux, que cela faisait mal.

    « Sire ? »

             Il releva les yeux. Le conseil était terminé. Mithian, Annis et Elena, saluées. Reparties dans leurs royaumes respectifs et officiellement invitées à l'été. Venait-il vraiment de passer les dix dernières minutes à fixer le reflet rougeoyant d'un vitrail contre le bois rainé de la table ?

    « Je vais prendre une collation avec les soldats dans la cour, déclara Léon comme si cela était la chose la plus normale du monde à dire à son roi. »

             Arthur le dévisagea. Se demanda comment il était supposé réagir à cette information. Conclut rapidement que s'effondrer sur son siège ne serait pas une réponse acceptable.

    « Voulez-vous venir avec moi ? Cela ferait du bien à vos hommes de vous voir. »

             La proposition le toucha. Il hocha la tête avant de pouvoir réfléchir davantage ou trouver une excuse pour s'enfermer à nouveau dans ses quartiers. Il y avait très probablement du vrai dans les paroles de son sénéchal, mais Arthur n'était pas dupe. Il savait que Léon avait remarqué qu'il n'avait quasiment rien avalé depuis la fin du siège et ses regards furtifs depuis le début de la journée ne trompaient personne. L'autre homme s'inquiétait. Après tout, se dit-il finalement, peut être que manger avec les soldats lui permettrait de se débarrasser quelques minutes du fantôme de son félon de valet. 

    Chapitre 6 - 1

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             L'idée se révéla être un formidable moyen de ne pas penser à Merlin les vingt premières minutes.

             Les soldats, qui s'étaient tendus en le voyant arriver, s'attendant probablement à des remontrances ou à voir leur collation être retardée par un discours royal, se détendirent après quelques cuillerées de potage. Les discussions reprirent avec entrain lorsqu'ils comprirent qu'Arthur venait simplement manger à leurs côtés. À l'époque d'Uther, l'idée aurait impensable. Mais ses sujets le connaissaient ; peu furent véritablement surpris lorsque le roi s'assit au milieu de ses hommes et se fit servir une louche de leur potage grumeleux.

             Bientôt, leur petit groupe fut rejoint par des chevaliers, les ouvriers chargés des réparations et même quelques serviteurs. Lorsque les grandes cloches sonnèrent la mi-journée, ils étaient ainsi une trentaine, assis au soleil sur les dalles, un bol dans les mains. L'espace d'un instant, Arthur ne se sentit plus roi. Juste un soldat, rien qu'un homme comme un autre, parmi les siens, au milieu des bruits de repas, des plaisanteries et des chamailleries. Que n'aurait-il pas donné pour être quelconque. Pour se débarrasser de la couronne quelques jours, quelques semaines, marcher dans la rue sans que les têtes ne se tournent ou que l'on s'incline sur son passage.

             Pourtant, il aimait régner. Il aimait régner comme on aime les premiers rayons du soleil après un hiver glacial, après une nuit trop longue ; inévitables, attendus, espérés. Il aimait se sentir utile, résoudre des conflits, protéger ses sujets et écouter leurs demandes. Il aimait les entrevues du mardi et jeudi après-midi, consacrées aux habitants du royaume et à leurs doléances, habitude héritée d'Uther. Il aimait les sourires qu'il croisait sur son chemin lorsqu'il descendait en ville et qui lui donnaient le sentiment qu'il était digne du rôle qui lui incombait, digne de leur respect et digne de leur loyauté.

             Mais, parfois... Parfois, il aurait aimé pouvoir tout abandonner. Laisser derrière lui les dilemmes impossibles, la culpabilité écrasante et l'horreur de devoir statuer avec la vie et la mort de ses hommes dans la voix. Rêvait à une petite ferme, à l'idée de vivre de ses propres mains, d'être inconnu, quelconque. Imaginait un petit bout de terrain. L'odeur de la terre et des bêtes comme première sensation au matin. Parfois, la couronne était juste trop, trop lourde, trop imposante, trop bruyante pour ses seules épaules. Parfois, il avait besoin de la poser, l'enfermer dans son coffret de velours et prétendre qu'elle n'existait pas.

             C'était aussi cela, comprit-il soudain, s'interrompant en pleine bouchée, qu'il venait de perdre en perdant Merlin. Le droit à être plus que roi. Parce que lorsqu'ils étaient seuls, dans l'intimité de ses quartiers, dans celle de la forêt lorsqu'ils partaient chasser en solitaire, parfois même dans la salle du conseil en fin de journée, Arthur n'était plus souverain. Avec Merlin, Arthur avait eu le droit d'être lui, juste lui. Juste un homme épuisé, inquiet, perturbé. Il avait eu le droit d'être rêveur, agacé, soucieux, mélancolique, mal luné, pétulant, immature, joueur, taquin, maladroit. Avec Merlin, il avait été Arthur, juste Arthur, hors des masques, hors du pourpre.

             Avec Merlin, il avait été libre.

             Sans Merlin... Son intériorité allait finir sacrifiée pour de bon, offerte sur l'autel des responsabilités.

             Il reposa son bol de potage. Déglutit difficilement. Il n'avait plus faim. À ses côtés, Léon lui jeta un regard en coin qui dériva discrètement sur le contenu de son assiette. Arthur fit mine de ne pas comprendre. Il était parvenu à avaler bien plus de nourriture qu'il ne l'aurait pensé, bercé par les discussions autour de lui, auxquelles il avait brièvement pris part avant de retourner dans le silence. Il préférait écouter. S'il se mettait à parler, il craignait de ne plus pouvoir s'arrêter et il serait tout de même de mauvais effet que le roi se mette à monologuer en plein milieu de la cour sur la trahison de son valet.

             Le fait de prêter une oreille aux conversations des soldats et des chevaliers eut au moins le mérite de le tenir informé de l'état de la plupart des blessés. Il ne put s'empêcher de soupirer de soulagement lorsqu'il entendit un page expliquer que le seigneur Bédivère serait bientôt entièrement remis de ses blessures et que les jours de Galaad n'étaient plus en danger. Il avait bien cru que le jeune homme allait y rester en le voyant rouler sur les dalles. La cité avait été extraordinairement chanceuse. Leurs pertes restaient modérées. Bien évidemment, nombre de combattants avaient été touchés par les assauts, mais peu avaient succombé à leurs blessures. Si les paysans n'avaient pas été miraculeusement guéris la vieille de l'arrivée des troupes de Mithian, Annis et Elena, cependant...

             Il serra les dents. Oh. Bien évidemment. Miraculeusement guéris par de la sorcellerie. Quelques jours plus tôt, il avait été persuadé que ces rétablissements impossibles étaient le fait d'une des suivantes du château. À présent... la réponse s'imposait d'elle-même. Merlin. Évidemment, Merlin. Merlin qui n'avait pas été à ses côtés cette nuit-là et avait eu l'air passablement malade le lendemain. Il était un crétin. Comment avait-il pu ne pas voir ? Ne pas comprendre ?  

             Arthur se redressa. Bon sang mais que devait-il faire pour que son esprit cesse de tout ramener à Merlin ? Son ami n'en était plus un. Il avait menti. Il avait fui.

             Il salua ses hommes d'un mouvement de tête et s'éloigna. Cette fois-ci, Léon ne le retint pas.

             « Sire ? l'interrompit une voix timide. »

             Il s'arrêta, une jambe déjà sur la première marche des escaliers du château, se tourna vers son palefrenier qui se tenait face à lui, les bras débordant de matériel équestre et l'air embarrassé.

    « Que se passe-t-il, Tyr ? »

             Était-ce Llamrei ? Sa jument avait-elle souffert de la pénurie d'eau ? Avait-elle été blessée dans un assaut ? Il pria silencieusement pour que ses craintes soient infondées. Il avait beaucoup plus d'affection pour elle qu'il ne l'admettait. Il aurait eu beaucoup de mal à accepter partir chasser avec un autre cheval.

    « Je... Je suis navré, Sire, je ne veux pas vous importuner, j'aurais aimé pouvoir régler ce problème seul, et je vous assure que je m'y suis efforcé, mais aucun chevalier n'a pu m'éclairer et comme il s'agit de votre stalle, je me suis dit qu'il serait probablement plus simple de venir directement vous demander... »

             Arthur fronça les sourcils. Leva une main pour empêcher le jeune homme de s'empêtrer plus longtemps dans ses propres phrases.

    « Tout va bien, tu ne me déranges pas. Quel est le problème ? 

    — C'est votre âne, Sire.

    — Mon âne ? répéta Arthur. »

             Il chassa au loin la voix piquante de Merlin qui venait immédiatement de rétorquer que c'était lui, l'âne. Il ne possédait pas d'âne ! Ses écuries ne contenaient que des étalons de haute stature, les meilleurs des meilleurs, certainement aucun âne !

    « Oui, reprit Tyr, enfin, votre ânesse. Elle et Llamrei tyrannisent les serviteurs. Votre jument a toujours eu un caractère bien trempé, mais je ne l'avais jamais vue ainsi. Cela allait beaucoup mieux depuis le départ des chatons, mais avec la levée du siège... Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, elle n'est pourtant pas blessée, mais elle est devenue ingérable. Et elle entraîne votre ânesse ! À toutes les deux, il devient parfois simplement impossible de les approcher et je dois avouer ne plus trop savoir quoi faire. »

             Arthur fixa l'autre homme de longs instants, l'esprit blanc. Il ne comprenait pas le quart de ce qu'il venait de lui dire. Il se passa une main sur le visage et s'efforça de retenir la seule information qui faisait un peu de sens :

    « Tyr, je ne possède pas d'âne. »

             Son palefrenier manqua de laisser tomber le chargement impressionnant resté en équilibre dans ses bras.

    « Vous ne possédez pas d'âne ?

    — Non, assura Arthur en s'efforçant d'être le plus clair possible, espérant que s'il la répétait une troisième fois, la chose finirait par atteindre Tyr et faire sens. Je ne possède pas d'âne.

    — Oh, je... Je, j'ai cru qu'elle était à vous, Sire, bredouilla l'autre homme, comme c'est Merlin qui l'a amenée et attachée à côté de Llamrei, j'ai cru que... »

             Arthur ne put s'en empêcher ; à la mention de son valet, il ferma les yeux et pinça les lèvres. Dieux que cela faisait mal, entendre son nom. Être rappelé qu'il avait eu le droit de tout contrôler autour d'Arthur. Qu'il s'était immiscé partout, dans tous les recoins de son cœur comme de sa vie. Tyr s'interrompit au milieu de sa phrase, comprit qu'il venait de mettre les pieds dans le plat et passa en quelques secondes au rouge écarlate.

    « Oh, dieux, pardon Sire, je ne voulais pas... Je n'essayais pas de... Je n'ai pas pensé que...

    — Tout va bien, coupa fermement Arthur. Occupe-toi plutôt de retrouver le véritable propriétaire de cet âne, d'accord ? »

             Il n'attendit pas d'entendre l'assentiment de l'autre homme pour s'éloigner.

             C'était assez. Il en avait assez. Il ne pourrait pas continuer ainsi, ne pourrait pas vivre avec un cœur prêt à exploser à la moindre mention de son valet. Il avait besoin de comprendre. Besoin de savoir. Besoin de parler à la seule personne dans ce foutu château qui savait probablement tout depuis le début, qui lui avait certainement caché des années et des années de mensonges et de tromperies. La seule personne qu'il avait sciemment évitée depuis le début de la journée.

     

    >> suite du chapitre 6


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